Michel Bakounine
Le Catéchisme révolutionnaire
Article mis en ligne le 10 juin 2010
dernière modification le 18 novembre 2010

par Eric Vilain

CATÉCHISME RÉVOLUTIONNAIRE ET CATÉCHISME DU RÉVOLUTIONNAIRE

L’amalgame entre anarchisme et terrorisme est extrêmement ancré dans l’opinion publique, y compris chez ceux dont on pourrait attendre un minimum de nuances. Sur le plan théorique, l’un des éléments qui fonde l’amalgame est le « Catéchisme du révolutionnaire » attribué à Bakounine mais qui est en réalité de Netchaïev, texte qui est confondu avec le « Catéchisme révolutionnaire » de Bakounine, qui est tout autre chose. Le fait que Bakounine ait été, très fugitivement, en relations avec Netchaïev contribue largement à entériner la confusion. Si le nihiliste russe a pu un temps faire illusion, Bakounine a très rapidement pris ses distances ; dans une lettre datée du 2 juin 1870, il rompt avec Netchaïev :

« Vous bannirez de votre organisation l’emploi systématique des méthodes policières et jésuitiques, vous bornant à n’y recourir que dans la mesure où ce serait effectivement et absolument nécessaire et surtout raisonnable et seulement vis à vis du gouvernement et des partis ennemis ; vous rejetterez l’idée absurde qu’on peut faire la révolution en dehors du peuple et sans sa participation et accepterez comme base fondamentale de votre organisation l’idée de la révolution populaire spontanée, où le peuple sera l’armée et l’organisation, rien de plus que l’état-major. »

L’article « du » fait toute la différence, mais c’est une nuance qui a rarement été perçue. Le catéchisme « du » révolutionnaire définit, comme la formulation l’indique, le comportement de l’individu révolutionnaire. Netchaïev écrivit son « catéchisme » en 1869 afin de codifier l’action des révolutionnaires :

« Attitude du révolutionnaire envers lui-même :

« 1) Le révolutionnaire est un homme perdu d’avance. Il n’a pas d’intérêt particulier, d’affaires privées, de sentiments, d’attaches personnelles, de propriété, il n’a même pas de nom. Tout en lui est absorbé par un seul intérêt à l’exclusion de tout autre, une seule pensée : la Révolution.

« 2) Au fond de son être, non seulement en paroles, mais en actes, il a rompu tout lien avec l’ordre public et avec le monde civilisé tout entier, avec toutes les lois, convenances, conventions sociales et règles morales de ce monde. (…)

« 6) Tous les tendres sentiments qui rendent efféminés, tels les liens de parenté, l’amitié, l’amour, la gratitude, l’honneur même, doivent étouffer en lui par la seule et froide passion pour la cause révolutionnaire. »

L’absence de l’article « du » dans le « catéchisme révolutionnaire » de Bakounine révèle qu’il ne s’agit pas de l’énonciation de règles de comportement individuel mais d’idées, d’un programme politique. De fait, le « Catéchisme révolutionnaire » est le point II d’un document intitulé « Principes et organisation de la Société internationale révolutionnaire », rédigé en 1866 lorsque Bakounine était à Naples, donc bien antérieurement au texte de Netchaïev. Une première mouture de ce texte avait été rédigée en 1864, dont beaucoup de passages se retrouvent dans le texte de 1866. Bakounine pratiquait allégrement le « copier-coller »…

Voici, en résumé, les points que Bakounine y développe :

1. – Élimination absolue de l’influence divine dans les affaires humaines ;

2. – Affirmation de la raison humaine comme source unique de vérité, de la conscience humaine comme la base de la justice, et de la liberté individuelle et collective comme source et base unique de l’ordre dans l’humanité

3. – La liberté de chacun n’est réalisable que dans l’égalité de tous

4. – Exclusion absolue de tout principe d’autorité et de raison d’État (…)L’ordre dans la société doit être la résultante du plus grand développement possible de toutes les libertés locales, collectives et individuelles

5. – L’organisation politique et économique de la vie sociale, doit être fondée sur le principe d’association et de fédération libres.

6. – La liberté est impossible sans l’égalité, mais l’égalité politique et sociale est impossible aussi, sans l’égalité économique.

7. – Le travail étant seul producteur de richesse.

8. – Chacun sera libre également de s’associer, ou de ne pas s’associer pour le travail - Mais le travailleur isolé, ne pourra prétendre à aucun des bénéfices généraux ou particuliers, garantis à tous les groupes de travailleurs par le fait de l’association.

9. – La femme différente de l’homme, mais non à lui inférieure, intelligente, travailleuse, libre comme lui, est déclarée son égale.

10. – Le mariage religieux et légal est remplacé par le mariage libre.

11. – L’instruction élémentaire gratuite et obligatoire, les institutions de perfectionnement scientifique et professionnel mises à la portée de tout le monde, offriront à tous les habitants, soit des villes, soit des campagnes, et à conditions égales, les moyens de donner le plus grand essor à leur intelligence, et d’entreprendre la carrière de leur choix.

12. – « Les libertés nationales étant solidaires, les révolutions particulières de tous les pays doivent l’être aussi - Il n’y a plus des révolutions, il n’y a désormais pour l’Europe et pour tout le monde civilisé que la révolution, comme il n’y a qu’une seule réaction européenne et mondiale »

13. – « La vraie révolution n’étant guère comprise par la plupart des hommes, c’est à la conspiration de la développer et de l’accélérer dans tous les pays – D’où la conséquence que tout en laissant à l’autonomie et à l’initiative locales cette liberté d’action sans laquelle aucun changement profond et sérieux n’est possible, il faut néanmoins que l’organisation secrète aboutisse à un centre unique ; et cela non pas tant à cause des difficultés inhérentes aux sociétés de cette nature, qu’en vue du besoin suprême de rallier à un plan général d’action et de mouvement les efforts partiels des révolutionnaires de tous les pays. »

Le « catéchisme révolutionnaire » de Bakounine se limite à cela. Il s’agit d’un projet de programme qu’on pourrait qualifier de « pré-anarchiste ». Précisons que si le point 13 mentionné ici, présente un caractère conspiratif indéniable, il se comprend par le contexte répressif de l’époque et n’est au fond que l’affirmation que la révolution mondiale ne saurait être spontanée. Le contenu de ce point 13 ne figure pas dans le Catéchisme de 1866, dans lequel il n’est pas question d’organisation clandestine.

Il n’y a en tout cas absolument rien de « terroriste » là-dedans. Pourtant, certains auteurs, et non des moindres – Arvon, Avrich, ont fait la confusion entre le texte de Bakounine et celui de Netchaïev.