Impressions de corrida par un touriste normand
Article mis en ligne le 31 juillet 2010
dernière modification le 15 novembre 2010

par Eric Vilain

Le Parlement de Catalogne a voté en juillet 2010 l’interdiction de la corrida. Il semble que ce type de spectacle soit quelque peu tombé en désaffection en Espagne. Tant mieux.

L’opinion que j’avais sur la corrida était celle d’un bon Normand du Pays d’Auge habitué aux vaches, bœufs et taureaux bien gras broutant paisiblement une herbe épaisse dans des champs vallonnés compartimentés par des haies, et qui ne voyait pas pourquoi on irait torturer ces bêtes dans une arène. Mais, après tout, si ça faisait partie de la culture espagnole, ce n’était pas mon affaire. J’allais même jusqu’à me dire que si le spectacle de la violence dans une arène fournissait un exutoire à la violence de la population et réduisait la criminalité, après tout pourquoi pas.

Lorsque j’assistai à une corrida, il y a quelques années, je modifiai mon point de vue.

(...)

A la télé, on voit dans l’arène des gars sautillants dans des costumes chamarrés, aux fesses bien moulées dans une espèce de collant, et qui fixent sur le dos des taureaux des baguettes de toutes les couleurs, et on se dit : tiens, c’est joli.

Vue de près, une banderille, c’est autre chose. C’est une sorte de petit javelot d’environ un mètre de long, avec au bout un fer acéré muni d’une barbe, comme sur un harpon. Une barbe, c’est un morceau de la pointe d’une flèche ou d’un javelot qui rebique dans le sens inverse dans lequel on enfonce l’arme dans la chair. Ce qui fait que si on veut l’enlever, ça arrache la bidoche.

A l’évidence, une banderille, ce n’est pas fait pour la décoration, mais pour faire mal. Très mal. La preuve, c’est qu’un jour, par un concours invraisemblable de circonstances, un matador s’est retrouvé avec une banderille enfoncée dans la cuisse. Eh bien, sur la photo, il n’avait pas l’air d’apprécier. Mais alors pas du tout…

Bon, je passe sur l’ambiance dans l’arène, la musique, les « Olé » des aficionados, les gloussements des touristes anglaises. C’est vrai que l’ambiance est sensationnelle. Et ce paso doble hypnotique qui vous prend aux tripes.

Puisque j’y étais, j’avais décidé de regarder très attentivement ce qui se passait.

L’heure de la corrida n’est à mon avis pas fortuite : c’est celle où le soleil tape en plein sur les portes des coulisses où les bêtes sont parquées. Le taureau qui est resté je ne sais combien de temps dans l’obscurité se retrouve flanqué dehors avec le soleil en pleine poire. Il est évidemment ébloui, sans doute un peu ankylosé, et il n’a qu’une envie, rentrer chez lui, c’est-à-dire dans les vastes prairies peuplées d’oliviers (ou de chênes verts ?) où se trouvent ses copains, et surtout ses copines.

Les brochures pour touristes racontent que les taureaux sont spécialement sélectionnés pour leur agressivité. Ce sont des bêtes de 450-500 kilos super-sportives et nerveuses. Rien à voir avec nos taureaux normands d’une tonne… Sélectionnés, ils le sont certainement, mais dire qu’un taureau est agressif n’a pas beaucoup de sens. Les taureaux sont par définition des animaux agressifs… quand on les agresse ou quand on les dérange. Même nos bons gros taureaux normands sont agressifs. En Normandie, personne ne songerait à traverser un champ où se trouve un taureau auquel on n’aurait pas été présenté, même si nos taureaux courent beaucoup moins vite que leurs collègues espagnols.

Le taureau qui entre dans l’arène, en pleine lumière, est ébloui, désemparé, étonné. J’ai pu constater que beaucoup d’efforts sont nécessaires pour le rendre agressif et tout le personnel qui se trouve là va s’y évertuer.

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