Gaston Leval : Anarchisme et abondancisme (1946)
Article mis en ligne le 2 septembre 2010
dernière modification le 17 juillet 2013

par Eric Vilain

Les libertaires, qui luttent depuis Proudhon, c’est-à-dire depuis un siècle, pour la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme, ne peuvent que se réjouir de voir apparaître des tendances, des groupements, des écoles sociales défendant des idées concordant avec les leurs. Nous ne prétendons pas exercer un monopole idéologique, ni être le seul courant révolutionnaire qui lutte utilement pour l’émancipation des hommes. Nous ne le désirons pas non plus. Nous savons la relativité de notre force, et l’immense puissance du privilège économique et de l’État. Nous ne pouvons également que nous réjouir à la pensée que, dans une crise sociale d’où pourrait surgir un monde nouveau, ces courants viendraient lutter avec nous, et qu’ensemble, en dehors de tout esprit de secte, nous réaliserions l’essentiel de nos aspirations : le socialisme et la liberté. Car, ce qui importe avant tout, c’est l’émancipation économique, politique et morale de l’humanité.

Mais si disposés qui nous soyons à enregistrer fraternellement l’apparition de nouvelles forces révolutionnaires de la pensée ou de l’action, nous sommes obligés de réfuter d’une part certaines erreurs qui tendent à déformer ou à minimiser le contenu réel de l’anarchisme socialiste, et d’autre part de combattre la prétention d’exclusivité de certains principes et de direction idéologique, surtout quand cette direction contient une série d’idées fausses, dont l’application serait mortelle.

Tel est ce qui se produit entre nous et l’école de l’Abondancisme, ou de l’Économie distributive dont Jacques Duboin est le fondateur, et qui groupe des intellectuels et des techniciens qui, hâtons-nous de le dire, ne sont pas tous absolument d’accord avec le Maître, particulièrement en ce qui concerne l’utilisation de l’État dans le nouvel ordre social auquel ils aspirent.

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Présentation de

« L’Anarchisme et l’Abondancisme

Né en 1879, Jacques Duboin est tout sauf un fantaisiste.
Industriel et banquier, capitaine d’artillerie pendant la guerre de 1914-1918, il fut sous-secrétaire d’Etat au Trésor du 23 juin au 19 juillet 1926, député radical-socialiste de la Haute-Savoie de 1921 à 1928, conseiller municipal d’Annecy, puis conseiller général de Haute-Savoie. Il eut une vie parlementaire extrêmement active et s’impliqua énormément dans ses fonctions. Il déposa une proposition de loi tendant à réprimer la spéculation sur les changes (1922) et une autre tendant à faciliter la construction à usage d’habitations par l’institution d’exonérations fiscales (1922).
Il fonda en 1932 la « Ligue pour le droit au travail et le progrès social », devenue par la suite le « Mouvement français de l’Abondance ». En 1935, il créa un journal : La Grande Relève des hommes par la machine, mensuel de réflexion socio-économique, où il exposa régulièrement ses théories.
Il collabora à L’Œuvre, avant la guerre de 1939 et à La France au Travail, pendant l’occupation
Il mourut à Versailles en 1976.

Une pensée marquée par la crise

La pensée économique de Duboin fut marquée par la crise de 1929, que la France subit de plein fouet en 1932. La production a reculé de 30%. Le chômage de masse frappe la population travailleuse. Les Etats industriels recensent alors 30 millions de chômeurs. Pourtant, afin de maintenir les cours, ils entreprennent de détruire systématiquement ou de rendre impropres à la consommation des denrées dont des millions de personnes insolvables auraient pu profiter.

L’analyse de Duboin repose sur l’idée qu’il y a dans le système capitaliste un équilibre entre production et consommation et que cet équilibre s’établit naturellement du fait de la loi de l’offre et de la demande. Le principe sur lequel se fonde ce système est… qu’il ne faut pas que l’Etat intervienne.

Dans un contexte de surproduction, que Duboin assimile à une forme d’abondance, cet équilibre n’est pas possible. Un nombre croissant de travailleurs sont exclus du marché du travail et n’ont plus de revenus. Le système élimine en quelque sorte ses clients. La machine est gripée. Pour maintenir les profits, on maintient artificiellement la rareté.

L’« assainissement » des marchés que les Etats mettent en œuvre en cette période de récession consiste à faire payer aux contribuables la destruction de marchandises qu’ils ne peuvent acheter, alors qu’une masse croissante de pauvres se trouvent à la fois exclus du travail et du marché. On cite l’exemple fameux du Brésil qui brûla six millions de tonnes de café. On subventionne les fermiers américains pour qu’ils laissent leurs terres en friche alors que des millions de personnes ont faim.

Duboin et ses amis font un procès – qu’ils perdent, naturellement – à l’Etat pour préjudices causés aux consommateurs par suite des destructions. Ils dressent la liste des lois et décrets votés par le Parlement pour lutter contre l’abondance : Du blé : 24 décembre 1934 et 27 septembre 1938, Du vin : 30 juillet 1935 et 17 juin 1938, Du poisson : 21 novembre 1935, De l’ensemble des récoltes : 30 octobre 1935, De l’électricité : 30 octobre 1935, Des chaussures : 23 mars 1936, De la viande : 24 avril 1936, Du sucre : 27 août 193), Des bananes produites dans les colonies : 31 décembre 1938...

Duboin se révolte contre ce gâchis. Moralement parce qu’il est insupportable que tant de produits soient détruits alors que tant de gens manquent de tout ; économiquement, parce qu’il sait que ce gâchis était évitable.

Une crise structurelle due au machinisme

Pour lui, la crise est structurelle et résulte des contradictions entre le progrès technique et le mode de fonctionnement de l’économie capitaliste. L’introduction du machinisme réduit le besoin de travail humain et provoque une augmentation importante de la productivité. Cette évolution ne peut aller qu’en s’accélérant. Une quantité croissante de richesses sera produite avec de moins en moins de main-d’œuvre.

Le constat n’est d’ailleurs pas précisément nouveau, puisque Proudhon l’avait fait dès… 1846 : un chapitre entier du Système des contradictions économiques, intitulé « Les machines », est consacré à cela. Proudhon cite un manufacturier anglais qui se réjouit d’avoir remplacé les hommes par des machines : « La mécanique a délivré le capital de l’oppression du travail » – c’est le manufacturier qui parle – « partout où nous employons encore un homme, ce n’est que provisoirement, en attendant qu’on invente pour nous le moyen de remplir sa besogne pour lui » [1].

« Quel système, poursuit Proudhon, que celui qui conduit un négociant à penser avec délices que la société pourra bientôt se passer d’hommes ! La mécanique a délivré le capital de l’oppression du travail ! C’est exactement comme si le ministère entreprenait de délivrer le budget de l’oppression des contribuables. Insensé ! Si les ouvriers vous coûtent, ils sont vos acheteurs : que ferez-vous de vos produits, quand, chassés par vous, ils ne les consommeront plus ? »

La solution, pour Duboin, se trouve dans le passage d’une économie de l’échange à une économie de la répartition… ce qui pose le problème du « répartiteur » – et c’est là que, selon Leval, le bât blesse. C’est sur cette question qu’il est extrêmement critique, comme on le verra dans L’Anarchisme et l’Abondancisme.

A la différence de Duboin, Proudhon pense que rapports de production, division en classes opposées et instruments utilisés par la société à un moment donné sont étroitement imbriqués et sont cohérents l’un à l’autre. L’originalité de Proudhon par rapport à Duboin (et à Marx) est que pour lui, les outils de production, et le mode particulier de leur organisation constituent un rapport social et participent pleinement à l’oppression du travailleur.

« Le travail, en inventant des procédés et des machines qui multiplient à l’infini sa puissance, puis en stimulant par la rivalité le génie industriel, et assurant ses conquêtes au moyen des profits du capital et des privilèges de l’exploitation, a rendu plus profonde et plus inévitable la constitution hiérarchique de la société [2]. »

L’implicite de ce constat est qu’une société libérée de l’aliénation devra, dès le niveau de l’atelier, établir un type de rapport différent des modalités d’organisation du travail différentes, faute de quoi elle reconstituera une société d’exploitation. L’atelier lui-même dans le régime capitaliste, et non pas seulement l’appropriation de la plus-value, constitue un facteur d’exploitation et d’oppression, qu’il faudra détruire.

Pour Duboin, le machinisme, qui produit une importante mutation dans l’appareil industriel, conduit à une société d’abondance qui va à l’encontre de la logique du système capitaliste fondé sur une production fondée sur l’échange de biens ayant un fort contenu de travail et sur la rareté – réelle ou artificiellement provoquée. « Le rôle social de la machine économique, écrit Duboin, ne doit plus être de fournir du travail (entreprise chimérique, même à l’ère de la rareté), mais de procurer des produits et des services. »

Cela ressemble fort à la « prise au tas » de Kropotkine – un concept qui a été mal compris et beaucoup dévoyé. Comme Duboin, Kropotkine souligne que le système capitaliste n’a pas pour objet de produire pour satisfaire les besoins de la population mais pour faire des profits. Sa réflexion est tout à fait moderne en s’inscrivant dans les débats sur la société de consommation. La révolution devra renverser l’ordre des priorités et ajuster l’appareil productif aux besoins réels de la population. C’est dans cette perspective que Kropotkine a élaboré le concept de la « prise au tas », qui a été souvent caricaturé.

Kropotkine : l’aisance pour tous

L’aisance pour tous n’est pas un rêve. Kropotkine estime qu’à peine un tiers de la population est affectée à un travail productif et crée la richesse globale. Si, parmi le reste, « ceux qui gaspillent aujourd’hui les fruits du travail d’autrui étaient forcés d’occuper leurs loisirs à des travaux utiles, notre richesse grandirait en proportion multiple du nombre de bras producteurs » [3]. A cela, il faut ajouter que contrairement à ce que pense Malthus, « l’homme accroît sa force de production bien plus rapidement qu’il ne se multiplie lui-même ». La productivité du travail est telle que la société capitaliste crée des oisifs : « Le nombre des oisifs et des intermédiaires augmente dans une proportion effroyable [4]. » Kropotkine récuse catégoriquement la thèse des marxistes qu pensent que puisque le capital se concentre progressivement en un petit nombre de mains, il suffira d’autant plus facile d’exproprier quelques capitalistes. Au contraire, dit-il à juste titre, le nombre de ceux qui vivent aux dépens du travail d’autrui est toujours plus considérable. Ainsi, il n’y a pas en France « dix producteurs directs sur trente habitants ».

Leval a donc parfaitement raison de souligner dans sa brochure que la suppression du système d’exploitation ne se heurtera pas seulement à’opposition des propriétaires des moyens de production, mais aussi à celle de tous ceux qui vivent en parasites sur le système.

Kropotkine cite un autre argument : la sous-production artificiellement organisée par les capitalistes pour maintenir les prix élevés. « C’est la limitation consciente et directe de la production ; mais il y a aussi la limitation indirecte et inconsciente qui consiste à dépenser le travail humain en objets absolument inutiles ou destinés uniquement à satisfaire la sotte vanité des riches [5]. » La productivité est réduite indirectement par le gaspillage des forces qui pourraient servir à produire, et surtout à préparer l’outillage nécessaire à cette production.

« Mais ce n’est pas encore tout. Car il se dépense encore plus de travail en pure perte : ici pour maintenir l’écurie, le chenil et la valetaille du riche, là pour répondre aux caprices des mondaines et au luxe dépravé de la haute pègre ; ailleurs pour forcer le consommateur à acheter ce dont il n’a pas besoin, ou lui imposer par la réclame un article de mauvaise qualité ; ailleurs encore, pour produire des denrées absolument nuisibles, mais profitables à l’entrepreneur. Ce qui est gaspillé de cette façon suffirait pour doubler la production utile, ou pour outiller des manufactures et des usines qui bientôt inonderaient les magasins de tous les approvisionnements dont manquent les deux tiers de la nation [6] . »

Ces réflexions, datant de 1888, sont d’une étonnante actualité – on les retrouve pratiquement telles quelles dans l’œuvre de Duboin.

On comprend dès lors l’agacement de Leval dans son texte sur l’abondancisme : pour lui, Duboin a pratiquement plagié le révolutionnaire russe.

L’idée de « prise au tas », dont parle Kropotkine dans la Conquête du pain, ne fit pas l’unanimité dans le mouvement anarchiste. Elle fut surtout mal comprise par les anarchistes de son temps – pour le pas parler des auteurs libéraux ou marxistes. Dans les deux seules occurrences où cette expression est évoquée dans le livre, elle est accompagnée d’une précision qu’on a souvent occultée : « prise au tas de ce qu’on possède en abondance ! Rationnement de ce qui doit être mesuré, partagé. » L’exemple que donne Kropotkine à l’appui de son idée est d’ailleurs particulièrement significatif aujourd’hui : « l’eau livrée à domicile »…

« Tant que les pompes suffisent à alimenter les maisons, sans qu’on ait à craindre le manque d’eau, il ne vient à l’idée d’aucune compagnie de réglementer l’emploi que l’on fait de l’eau dans chaque ménage. Prenez-en ce qu’il vous plaira ! Et si l’on craint que l’eau manque à Paris pendant les grandes chaleurs, les Compagnies savent fort bien qu’il suffit d’un simple avertissement, de quatre lignes mises dans les journaux, pour que les Parisiens réduisent leur consommation d’eau et ne la gaspillent pas trop. »

L’expression « prise au tas » est extrêmement maladroite car elle suggère effectivement un « tas », au sens propre ou au sens figuré, dans lequel il suffira de piocher à sa guise. Ce n’est pas ce que voulait dire Kropotkine. Sa vision s’inscrit dans le cadre d’une société industrielle développée à haute technologie et à haute productivité du travail. Dans cette perspective, l’acquisition d’une automobile ou d’un ordinateur relève aujourd’hui de la « prise au tas », en ce sens que la quantité disponible de ces articles suffit aux besoins des consommateurs. La différence avec la vision de Kropotkine est qu’aujourd’hui le mode d’acquisition de ces articles se fait par l’achat, tandis que dans une société ayant aboli le salariat d’autres modes d’acquisition devront être imaginés.

L’anarchiste italien Malatesta écrivit que Kropotkine « disait toujours que le problème le plus urgent était celui de la consommation, que pour faire triompher la révolution il fallait satisfaire immédiatement et abondamment les besoins de tous, et que la production suivrait le rythme de la consommation. De là cette idée de la prise au tas, qu’il mit à la mode et qui est bien la manière la plus apte à plaire à la foule, et en même temps la plus primitive et la plus utopique [7]. » La critique de Malatesta est injuste car Kropotkine n’a jamais développé l’idée d’une société d’abondance apparaissant ex nihilo.

Leval fait d’ailleurs remarquer que si l’instauration d’une société égalitaire s’acommoderait fort bien d’une abondance relative de produits de consommation, cette abondance n’est en rien une condition exclusive. Le socialisme est aussi une affaire de rapprots sociaux et plus que l’abondance, c’est eux qui participent à la définition de ce qu’est le socialisme : comment la production est organisée, comment sont définis les urgences, comment les produits sont répartis. Ce que Leval reproche à Duboin – à tort ou à raison –, c’est d’écarter l’humain dans le processus.

L’intuition de Kropotkine est indéniable. Il est d’une certaine manière l’inventeur de l’idée de société de consommation et de société des loisirs : « En travaillant cinq à quatre heures par jour jusqu’à l’âge de 45 à 52 ans, l’homme pourra produire aisément tout ce qui est nécessaire pour garantir l’aisance à la société [8]. » Sa vision était sans doute trop en avance sur son temps pour être comprise d’un homme comme Malatesta.

On peut dire que le révolutionnaire russe anticipe largement sur des débats qui auront lieu dans les années 1960-1970 sur la technostructure, sur le gaspillage de la production et sur la société de consommation, débats liés au constat que la productivité du travail et la technologie produisent de l’abondance – du moins pour les sociétés industrielles.

« Nous glissons au fascisme »

Il est possible qu’en 1946, lorsqu’il écrivit sa brochure, Gaston Leval ignorait que Duboin avait travaillé pour deux journaux collaborationnistes pendant la guerre, L’Œuvre et La France au travail. Mais ce serait tout à fait son genre, s’il l’avait su, de ne pas l’avoir mentionné parce qu’il entendait réfuter les idées de Duboin et non faire une attaque ad hominem.

Je ne dispose pas d’informations sur le degré de la participation de Jacques Duboin à ces journaux. Il écrivit pourtant après la guerre, en 1948, un article intitulé « Nous glissons au fascisme » [9] dans lequel il livre une analyse intéressante : le fascisme est le produit de la situation économique déplorable qui règne dans le monde, il est « une conséquence de la révolution mécanicienne qui bouleverse les rapports sociaux » [10]. Les gouvernements fascistes se sont installés partout, à peu près au même moment – Italie, Allemagne, Espagne, Portugal, Grèce, Argentine, Brésil, Japon, Autriche, etc... –comme « conséquence de la révolution mécanicienne qui bouleverse les rapports sociaux ». « Les gouvernements fascistes se sont installés en exploitant tous le mécontentement des masses avec l’aide des partis réactionnaires. » Le fascisme est « la forme autoritaire que revêt le capitalisme en pleine décomposition ». Sa fonction serait donc de prendre le relais des mécanismes du capitalisme lorsqu’ils ne fonctionnent plus spontanément, lorsque les mécanismes de l’offre et de la demande ne séquilibrent plus.

Le progrès technique, introduisant le machinisme à grande échelle, a perturbé les mécanismes naturels du capitalisme et jeté hors du travail un nombre croissant de salariés. « Alors apparut le fascisme dont le but est de rétablir, par voie d’autorité, tous les équilibres capitalistes devenus introuvables », en substituant la contrainte à « ce que les économistes distingués appellent le libre jeu des lois naturelles ».

« En définitive, le fascisme consiste à favoriser ceux qui réalisent encore des profits et à faire taire les autres.

« Ce qui le conduit infailliblement à porter atteinte à ce qui reste de la liberté humaine, même s’il s’époumone à faire crier “Vive la liberté !” à sa grande presse, à sa Radio et à ses orateurs dominicaux. Tôt ou tard, il s’engage dans la voie de la persécution, et, comme il lui faut une excuse, il la trouve toujours dans la “raison d’État”. »

Le fascisme a-t-il encore un avenir ? demande Duboin. « Certes, il peut encore faire beaucoup de mal, mais ses plus beaux jours sont derrière lui ». A cela, Duboin trouve des raisons essentiellement économiques : il est contraint de freiner la baisse inéluctable du pouvoir d’achat en sacrifiant la monnaie : ainsi, il ruine ceux qu’il veut sauver. Duboin conclut que « le seul moyen d’échapper aux dernières ruades du fascisme est de s’évader de l’économie capitaliste ».

On comprend dès lors que l’analyse de Duboin ait pu créer un malaise, car on y trouve de surprenantes analogies avec celles développées par… l’ultra-gauche : la même exclusivité donnée à l’explication économique du fascisme ; le même constat que fascisme et démocratie ne sont pas différents de nature, le premier n’étant qu’une excroissance de la seconde ; la même conclusion qu’on ne peut échapper au fascisme que par la révolution (pour l’ultra-gauche) ou par « l’évasion de l’économie capitaliste » (pour Duboin).

Conclusion

Que Duboin ait plagié, ou qu’il se soit tout simplement inspiré des idées de Kropotkine n’a pas d’importance. Après tout, on ne prête qu’aux riches. D’ailleurs, Leval, qui était pourtant un fin connaisseur de Proudhon, ne mentionne pas les idées que l’auteur du Système des contradictions économiques aurait pu lui aussi inspirer à Duboin.

Les réflexions et les propositions de Jacques Duboin que Gaston Leval critique dans L’Anarchisme et l’Abondancisme méritent certainement mieux que l’ignorance quasi-totale dans laquelle elles ont été confinées.
Si Duboin en son temps a pu s’inspirer d’auteurs libertaires, ce ne serait sans doute pas une mauvaise chose si, aujourd’hui, les militants libertaires allaient chercher quelques bonnes idées chez Duboin, à condition bien entendu de conserver leur esprit critique.