BRÉSIL : MAURICIO TRAGTENBERG, UN SOCIOLOGUE ANARCHISTE
Ana Paula Paes de Paula : “Maurício Tragtenberg : contribution d’un marxiste anarchisant à l’étude critique des organisations”

Ana Paula Paes de Paula est professeur à l’université fédérale de Minas Gerais, au Brésil, postdoctorante en administration à l’Ecole d’administration des entreprises de São Paulo.

Article mis en ligne le 4 juillet 2011
dernière modification le 30 octobre 2020

par Eric Vilain

Sommaire : 1. Introduction ; 2. Visions anarchistes : Le marxisme anarchiste de Maurício Tragtenberg ; 3. Contributions de Maurício Tragtenberg aux études organisationnelles critiques ; 4. Conclusion.

Données biographiques

Les grands-parents de Maurizio Tragtenberg étaient des immigrés juifs qui s’étaient installés dans le Rio Grande do Sul, et qui vivaient d’une agriculture de subsistance. Tragtenberg apprit le portugais, l’espagnol, l’espéranto et le russe. Il lit Kropotkine, Bakounine, Tolstoï. Il fréquente l’école primaire à Porto Alegre, mais ne poursuivit pas sa scolarité car après la mort prématurée de son père, sa mère et lui déménagèrent à Sao Paulo et il commença à travailler très jeune. Il milita au Parti communiste brésilien, mais en fut exclu pour trotskisme. Il devint alors un dirigeant du nouveau Parti socialiste révolutionnaire (PSR), section brésilienne de la IVe Internationale.

Il travailla au Département de l’eau de Sao Paulo, où il acquit une expérience pratique de la bureaucratie, qu’il critiqua plus tard dans son livre Bureaucratie et idéologie. Il fréquenta pendant cette période la Bibliothèque publique de Andrade, où il put lire ce qui l’intéressait et discuter de divers sujets avec un groupe d’intellectuels qui fréquentait également la bibliothèque, parmi lesquels Anthony Candido, qui l’a convaincu de passer l’examen à l’Université de São Paulo

Il écrit alors un essai, La planification – Défi du XXe siècle, qui fut plus tard publié en livre. L’acceptation de ce texte par l’Université lui permit de passer ses examens. Il assista aux cours de sciences sociales. Un an plus tard il passa de nouveau un examen pour le cours d’histoire. Pendant la dictature militaire il écrivit sa thèse de doctorat en sciences politiques, également à l’Université de São Paulo. Il commença alors une carrière de professeur d’université à la PUC-SP (Pontifícia Universidade Católica de São Paulo), Université de São Paulo, à UNICAMP (Universidade Estadual de Campinas) et à l’Ecole d’administration des entreprises de São Paulo, de la fondation Getulio Vargas (FGV-EAESP).

Tragtenberg devint connu dans les milieux universitaires comme un autodidacte, ce qu’il n’était que partiellement, mais il s’en vantait, par provocation. Il préférait se définir comme un « socialiste libertaire », par opposition à « anarchiste ». Irrévérencieux à l’égard des symboles et des ruses du pouvoir autoritaire, c’était un intellectuel indépendant et critique de la bureaucratie universitaire, qu’il méprisait. Ses cours étaient suivis par les étudiants, mais aussi par de nombreux auditeurs réguliers non inscrits. Il était connu pour son esprit rebelle et son sens de l’humour sarcastique, mais surtout pour sa générosité intellectuelle. Il impressionnait par son savoir encyclopédique.

Il publia au moins huit ouvrages et de nombreux articles dans les journaux et magazines à grand tirage dans le pays, couvrant des questions diverses telles que l’éducation, la politique, la sociologie, l’histoire et l’administration.

Il tint pendant plusieurs années une rubrique, « No Batente », dans les colonnes du journal Noticias Populares, un tabloïd populaire à São Paulo. Son oeuvre complète, qui comprend des livres, des articles, des présentations, des préfaces et des textes épars fut éditée par Editora UNESP.

Théorie de la pédagogie libertaire

Par une critique incisive du modèle pédagogique bureaucratique, Tragtenberg vient à la théorie de la pédagogie libertaire, qui se traduit par la remise en cause de toute relation de pouvoir établi dans le processus éducatif et dans les structures qui assurent les conditions dans lesquelles ces relations se produisent dans la vie quotidienne des écoles.

À son avis, la pratique même de l’enseignement-apprentissage permet la domination bureaucratique en ce qu’elle réduit l’étudiant au rôle d’un simple réceptacle de connaissances et établit une hiérarchie stricte et bureaucratique dans laquelle le principal intéressé est en position de soumission. Et dans cet ordre, l’enseignant est le « symbole vivant » de la domination.

Tragtenberg critique durement la réalité des universités, la « délinquance académique » des universités, qui, à son avis, exprime une « conception capitaliste de la connaissance » à travers la recherche passionnée de titres, de publications, de places.

La pédagogie libertaire propose une série de changements dans les établissements scolaires, fondée sur :

• L’autogestion, gestion de l’éducation par les personnes directement impliquées dans le processus éducatif et le « retour du processus d’apprentissage dans les collectivités où l’individu se développe (quartier, lieu de travail) » ;

• L’autonomie de l’individu, « l’individu n’est pas un moyen, il est une fin en soi. Dans l’univers des choses (marchandises) tout a un prix, mais seulement l’homme a une dignité » ; suppression totale de récompenses ou des sanctions ;

• La solidarité, la critique permanente de toutes les formes éducatives qui stimulent ou se fondent sur la concurrence ;

• La critique de toutes les normes pédagogiques autoritaires.

Ces propositions éducatives exigent également l’éducation gratuite pour tous, le dépassement de la division des enseignants dans des catégories, la liberté d’organisation pour les travailleurs de l’éducation.