KROPOTKINE : UTOPIE ET EXPÉRIMENTALISME
René Berthier
Article mis en ligne le 9 août 2011
dernière modification le 23 octobre 2015

par Eric Vilain

Chaque auteur projette dans l’utopie qu’il imagine ses propres fantasmes de cité idéale. Chacune de ces cités idéales est sans conteste ancrée dans son époque, destinée à fournir des solutions hypothétiques aux problèmes de son temps. Il ferait beau voir que l’Utopia de Thomas More ne soit pas déterminée par l’Angleterre du XVIe siècle 1. Prétendre appliquer à la réflexion sur la société future une méthode scientifique est peut-être l’utopie suprême, contre laquelle Bakounine avait prévenu ses amis et lecteurs.

A de rarissimes exceptions près, tous les anarchistes après Proudhon affirment le principe du pluralisme, au nom de la vie, parce que la vie est changeante, mouvante. A ce titre, ils sont à l’opposé de l’utopie car celle-ci définit un cadre statique, immuable. La société utopique n’est pas susceptible de changement, d’évolution. C’est un monde stable, où tout est réglé dans le détail, de manière parfois obsessionnelle. L’évolution, la perfectibilité, pour reprendre à William Godwin un concept qui lui est cher, est au contraire au centre de la réflexion anarchiste. L’anarchie, dit Luce Fabbri, n’est pas un « point fixe auquel on doit tendre », mais un « chemin à suivre ». Kropotkine aspire à une société à laquelle « les formes préétablies, cristallisées par la loi répugnent ; mais qui cherche l’harmonie dans l’équilibre, toujours changeant et fugitif, entre les multitudes de forces variées et d’influences de toute nature, lesquelles suivent leur cours et, précisément grâce à la liberté de se produire au grand jour et de se contrebalancer, peuvent provoquer les énergies qui leur sont favorables, quand elles marchent vers le progrès ».