KROPOTKINE ET LES COMMUNES DU MOYEN ÂGE
René Berthier

Extrait de : Kropotkine Une tentative d’approche scientifique de l’anarchisme
monde-nouveau.net

Article mis en ligne le 9 août 2011
dernière modification le 21 octobre 2021

par Eric Vilain

Kropotkine est fasciné par un phénomène qui a touché le Moyen-Âge, les communes libres, dont il décrit la constitution de manière un peu idyllique – un phénomène, dit-il, qui ne fut pas compris par les historiens : « les agglomérations urbaines de toutes sortes, et jus-qu’aux plus petits bourgs, commencèrent à secouer le joug de leurs maîtres spirituels et temporels. Le village fortifié se souleva contre le château du seigneur, le défia d’abord, l’attaqua ensuite et finale-ment le détruisit » . Raccourci saisissant et pas tout à fait exact.
Alors que les derniers vestiges de la « liberté barbare » semblaient disparaître, le mouvement communal réapparut dans les cités médiévales.

« L’Europe, tombée sous la domination de milliers de gouvernants, semblait marcher, comme les civilisations antérieures, vers un régime de théocraties et d’États despotiques … »

C’est à ce moment-là que se constitua « un mouvement semblable à celui qui donna naissance aux cités de la Grèce antique ». Ce mouvement, « avec une unanimité presque incompréhensible », toucha toute l’Europe, des côtes de la Méditerranée à celles de la Baltique, de l’Atlantique à l’Oural.

« Partout avait lieu la même révolte, avec les mêmes manifestations, passant par les mêmes phases, menant aux mêmes résultats. Partout où les hommes trouvaient, ou espéraient trouver quelque protection derrière les murs de leur ville, ils instituaient leurs “conjurations”, leurs “fraternités”, leurs “amitiés”, unis dans une idée commune, et marchant hardiment vers une nouvelle vie d’appui mutuel et de liberté. Ils réussirent si bien qu’en trois ou quatre cents ans ils changèrent la face même de l’Europe. Ils couvrirent les pays de beaux et somptueux édifices, exprimant le génie des libres unions d’hommes libres et dont la beauté et la puissance d’expression n’ont pas été égalées depuis … »

La comparaison avec les cités de la Grèce antique est, par sa généralisation, très exagérée. La constitution des communes sur le territoire européen suit des schémas trop différents pour être réduits à une explication unique. Les conditions qui ont permis la constitution de cités-Etats indépendantes en Italie – assez comparables il est vrai aux cités de la Grèce antique – sont complètement différentes de celles qui ont produit les communes du Nord de la France qui s’insèrent parfaitement, on le verra, et n’en déplaise à Kropotkine, dans le tissu féodal. Quant aux cités du Midi de la France, qui étaient des républiques consulaires, elles suivent également un schéma tout à fait différent.
Si nous cherchons quelles forces ont produit la commune, dit Kropotkine, nous les trouvons dans « ce courant même d’entraide et d’appui mutuel que nous avons vu à l’œuvre dans la commune du village » . La commune du Moyen-Âge serait ainsi l’héritière des traditions de la commune villageoise.

Cette idée de communes se constituant par la libre volonté de leurs habitants, luttant contre le pouvoir des nobles et du monarque, constituant des centres d’administration autonomes de la vie civile et source de richesse, constitue un leitmotive de la théorie kropotkinienne, et fournit le modèle de sa pensée en tant que théoricien de l’anarchisme. C’est pourquoi il faut examiner la validité de cette théorie. Notre intention n’est d’ailleurs pas de la démonter mais de montrer qu’il se trompe parfois de perspective dans ses descriptions et dans les causes des évolutions qu’il décrit.