Le Monde nouveau
Pierre Besnard

Structure économique et sociale d’une société libertaire

Article mis en ligne le 6 décembre 2008
dernière modification le 9 décembre 2008

par Eric Vilain

Pierre Besnard fut pendant les années trente le secrétaire de la CGT-SR et de l’AIT. Il propose un projet de société à partir du syndicalisme.
Nous présentons ici l’introduction de son livre et le chapitre I.

DOIT-ON DRESSER LE PLAN CONSTRUCTIF DE LA RÉVOLUTION MONDIALE ?

L’examen objectif de la situation actuelle démontre que, partout à travers le Monde, des courants révolutionnaires de tendances diverses et souvent opposées essayent de se faire jour et de se développer.

On peut affirmer, sans crainte d’erreur, que des révolutions de caractères différents, qui trouvent leurs sources, leurs inspirations et leurs justifications dans les mêmes phénomènes économiques, politiques et sociaux, sont en marche dans tous les pays dits civilisés.

J’ai déjà examiné d’ailleurs quel serait, à mon avis, le caractère de la prochaine révolution européenne et quelle était la répercussion du fascisme, forme concrète de la Révolution capitaliste, sur le mouvement ouvrier révolutionnaire. Je n’y reviendrai pas. Mais je tiens à affirmer, de nouveau, la nécessité de bien préparer, coûte que coûte, la prochaine et inévitable révolution ; de lu’, imprimer un sens social très net, de la réaliser aussi complètement que possible ; d’établir, pour cela, une alliance aussi étroite qu’indispensable entre les deux principaux éléments de a révolution : les paysans et les ouvriers.

J’insiste, une fois de plus, sur la nécessité de réaliser, autant que possible et dès maintenant, la synthèse des forces constructives de la révolution : la main-d’œuvre, la technique et la science, afin d’être en mesure d’assurer la vie collective, dans toute sa complexité, et le développement continu de l’ordre nouveau.

Toutes ces tâches supposent, de notre part, une organisation nouvelle et rationnelle de nos éléments de réalisation sur le plan industriel et agraire, en rapport avec les exigences d’une situation révolutionnaire.

Pour atteindre le but que nous nous proposons, il faut, comme je l’ai indiqué dans mon rapport au IVe Congrès de l’Association Internationale des Travailleurs, qui s’est tenu à Madrid, en juin 1931, réorganiser complètement notre mouvement.

A ce Congrès, dont l’importance et les répercussions furent considérables dans tous les pays d’Europe et d’Amérique, deux conceptions se firent jour. Elles demeurent.

La première consiste à affirmer qu’on ne récolte qu’à condition d’avoir semé et bien semé. Elle affirme que la préparation est la mère de l’action et que celle-ci porte en elle la réalisation. Se défenseurs, dont j’étais – et je le reste, – étaient convaincus que le syndicalisme révolutionnaire doit indiquer, en prétendant à la succession du capitalisme, les bases et le fonctionnement de l’ordre social qu’il veut réaliser ; qu’il doit faire connaître son Plan constructif et faire pénétrer dans les masses travailleuses sa doctrine, ses principes et le système d’organisation qu’il oppose, dans l’ensemble et partie par partie, aux principes et à la doctrine capitalistes.

Les partisans de la seconde conception, tout en étant aussi convaincus que les défenseurs de la première de l’inévitabilité et de la nécessité de la révolution sociale, ne croient pas, par contre, en l’indispensabilité d’une préparation méthodique et rationnelle de cette révolution.

En un mot, ils nient la valeur d’un Plan constructif établi et vulgarisé à l’avance.

Ils affirment, sans pouvoir le démontrer par le moindre exemple historique, que la poussée créatrice, spontanée et indéfinie des masses fera surgir, le moment venu, les organismes qui auront charge et mission d’assurer le succès de la grande et complexe entreprise révolutionnaire.

Pour ma part, je crois, plus fermement que jamais, que la période du romantisme révolutionnaire est terminée.

Si j’ai, toujours, la plus grande confiance dans l’action révolutionnaire du prolétariat, je n’ai pas, en présence de. la puissance de l’adversaire à vaincre, la foi qu’ont les partisans de la tendance .. contraire en la « spontanéité » des réalisations révolutionnaires. Je crois en la nécessité de les préparer.

Détruire ? C’est facile, mais ce n’est que la partie négative de la révolution.

Construire ? C’est infiniment plus difficile et c’est la partie positive de l’œuvre révolutionnaire. Et, dans la meilleure hypothèse, on peut affirmer, à coup sûr, que la capacité constructive du prolétariat sera toujours inférieure à sa capacité de destruction.

Pourtant, même pour détruire, il est absolument nécessaire qu’il sache, aussi exactement que possible, ce qu’il veut, ce qu’il ne veut plus ou ne veut pas.

Autrement, et malgré toutes les affirmations contraires, il confiera une fois de plus ses destinées à une minorité qui le mènera où elle voudra – peut-être où elle pourra – et non où il voudra, parce qu’il ne saura pas ce qu’il veut. C’est infiniment grave. Toute l’Histoire le prouve.

Au contraire, si le prolétariat est informé à l’avance, il décidera librement ce qu’il veut faire. Il choisira son objectif, ses moyens et son chemin. S’il ne peut faire ce choix, s’il est maintenu dans l’ignorance, s’il attend le Messie et le miracle, il subira la dictature d’une poignée d’hommes, dictature qui sera d’autant plus pénible que les « conducteurs » eux-mêmes ne sauront ni où aller, ni où conduire les autres.

Pour parler clair, je déclare que la discussion d’un Plan d’organisation, et d’action, ses améliorations et son adoption conduisent, indubitablement, après une propagande et une vulgarisation adéquates, à un triomphe certain.

La conception contraire ne peut mener qu’à la catastrophe.

Et celle-ci doit être évitée à tout prix.

Pour qu’il en soit ainsi, élaborons notre Plan constructif, soumettons-le à la discussion de tous et, qu’au plus tôt, on l’examine. Qu’on l’approfondisse, le perfectionne, mais qu’on décide et agisse.

C’est dans le but d’obtenir ces résultats que je soumets ce Plan d’organisation industrielle, administrative et sociale à l’examen, à la discussion, à la critique et à la décision de tous.

Cependant, avant d’aller plus loin, il me paraît nécessaire d’indiquer la méthode de travail et les principes qui m’ont guidé dans l’élaboration de ce Plan.

Suivant ma conception, la base certaine, indiscutable, de toute Société est l’Économie. L’Administratif découle du système économique et le Social est la conséquence de l’Economique et de l’Administratif qui lui donnent vie et force.

D’autre part, la production : agricole et industrielle, m’a paru absolument vitale et, pour un certain temps encore, conditionner la consommation, ce qui ne veut nullement dire qu’il ne faille pas tente,r d’élever la production au niveau des besoins de la consommation la plus large.

C’est donc par l’organisation de la production que je commencerai l’exposé de mon Plan.

Je le continuerai par l’étude des rouages syndicaux chargés d’organiser la production, sous leur responsabilité.

Enfin, j’établirai les rapports qui doivent exister entre ces rouages pour que l’appareil donne son maximum de rendement.

Mais avant tout, je tiens à déclarer que le système que je propose a pour objet d’éliminer complètement l’État, de solidariser, pour une même tâche, tous les travailleurs : manuels, techniciens et savants,. de garantir aux individus et aux groupements le maximum de liberté ; de donner à tous, les moyens d’exercer pleinement leur initiative, dans la plénitude de leur responsabilité ; d’établir le contrôle, fraternel, mais sévère, de l’action individuelle et collective.

Ce système sera donc de forme associative, fédéraliste, régionaliste, communaliste, fédérative et anti-étatiste.

Il aura pour but de réaliser la synthèse des intérêts particuliers et tendra, par là-même, à l’établissement d’un intérêt général sur la base de la plus grande égalité sociale. Il reposera essentiellement sur la solidarité et l’entr’aide. Il sera basé : 1° Sur le travailleur, unité économique ; 2° sur l’individu, unité sociale, et s’efforcera de concilier tous les droits et tous les besoins de celui-ci et de celui-là.

CHAPITRE PREMIER

L’ORGANISATION DE LA PRODUCTION INDUSTRIELLE

Sous le bénéfice de ces observations préliminaires et nécessaires, examinons maintenant comment doit être organisée la production : industrielle, d’abord ; agricole, ensuite.

Immédiatement, s’imposent à l’esprit les idées suivantes : adapter à la tâche constructive révolutionnaire les rouages syndicaux déjà existants ; créer sans délai ceux qui n’existent pas ; renforcer ceux qui existent, mais qui sont encore insuffisants.

Tous ces rouages, nécessaires pour organiser rationnellement la production, sont incontestablement : les Comités d’atelier, les Conseils d’usine, le Syndicat d’industrie, la Fédération régionale d’industrie, la Fédération nationale d’industrie et la Fédération internationale d’industrie, comme l’indique le schéma de l’organisation de la production industrielle.

Ils sont dotés d’Offices techniques spéciaux indiqués également par le schéma.

Examinons comment ils doivent fonctionner, quels sont leurs rapports, leurs liaisons.

LES COMITÉS D’ATELIER

Les Comités d’atelier, qui sont, en ce moment, les organes syndicaux indispensables pour exercer le contrôle de la production ; qui sont actuellement chargés d’étudier le fonctionnement technique et social de l’atelier, de défendre les travailleurs sur le lieu même du travail, devront diriger la production de l’atelier, aux lieu et place de la direction capitaliste, en accord avec les Conseils d’usine.

LES CONSEILS D’USINE

Ces organes qui ont déjà, dès maintenant, une mission défensive plus large, qui sont les sentinelles avancées du syndicat dans l’entreprise capitaliste, c’est-à-dire les instruments du contrôle syndical dans la gestion patronale, pour l’entrée des matières premières et les transformations successives subies par celles-ci deviendront, par la force des choses, les conseils de gestion de l’entreprise. Ils se substitueront normalement aux conseils d’administration capitalistes. Ils dirigeront, en fait, techniquement, administrativement et socialement les entreprises nouvelles, avec l’aide des Comités d’atelier et sous le contrôle effectif du Syndicat d’industrie de la localité.

On remarquera que le Comité d’atelier et le Conseil d’usine se composent, l’un et l’autre, de deux sections : l’une technique, l’autre sociale.

Selon moi, ces deux sections doivent travailler de la façon suivante :

SECTIONS TECHNIQUES

1° Étudier, par atelier, l’organisation et l’exécution du travail ; se préoccuper des investigations et des perfectionnements susceptibles d’augmenter le rendement, élever ce rendement au niveau exigé par la consommation, dont les besoins seront indiqués par l’Office de la Statistique ; diminuer, dans toute la mesure du possible, la durée du travail de l’homme et sa fatigue physique ;

2° Doter chaque atelier d’un bureau de recherches, d’un laboratoire d’essais, pour étudier les inventions et rechercher les moyens pratiques de les appliquer. Ce bureau et ce laboratoire devront être au courant des progrès techniques réalisés ailleurs, dans l’ensemble de leur industrie, et communiquer leurs travaux à leurs syndicats, aux organismes chargés de concentrer les informations et de les vulgariser par les meilleurs moyens : journaux, revues, tableaux muraux, conférence, etc.

Pour accomplir cette tâche, les travailleurs collaboreront, au sein de l’atelier, à leurs offices respectifs ;

3° Constater les résultats obtenus, tenter de les améliorer, les examiner attentivement au cours d’assemblées réunissant les Comités d’atelier de la même Entreprise.

Au cours de ces assemblées, qui se réuniront une fois par mois, par exemple, et plus souvent. si c’est nécessaire, les travailleurs rechercheront en commun les meilleures méthodes de travail, en se basant sur les résultats obtenus par eux ou par leurs camarades des autres centres qui les auront renseignés à ce sujet.

Ils tiendront soigneusement compte des investigations, recherches, inventions et applications qui leur seront communiquées et s’efforceront de trouver les moyens pratiques de les généraliser.

Les Comités d’atelier tiendront également des assemblées qui réuniront, toutes les fois que ce sera nécessaire, tous les travailleurs de l’atelier. Ceux-ci se livreront au même examen scrupuleux et prendront les décisions utiles.

Les Comités d’atelier, de bureau, de chantier, de gare, etc., etc., éditeront un bulletin périodique destiné aux travailleurs de la même entreprise. Ils feront parvenir leurs travaux au Conseil de gestion et au Syndicat d’industrie.

Ces derniers informeront, à leur tour, les Fédérations régionales et nationales d’industrie qui se chargeront, elles aussi, d’informer, de la même façon, les Offices spécialisés des Fédérations internationales d’industrie et les divers organismes économiques de documentation et de statistique, au moyen de notes claires, précises et concrètes.

A côté des Sections techniques des Comités d’atelier, en relation constante avec celles-ci, et le Conseil d’usine, travailleront les Sections sociales d’atelier.

Production industrielle (voir planche 1 )

SECTIONS SOCIALES

Ces Sections ont pour mission d’assurer aux travailleurs le maximum de bien-être, d’hygiène et de sécurité ; de réglementer ; d’accord avec les intéressés, et en tenant compte des besoins de la production, la durée et les conditions de travail. En un mot, leur rôle consiste à s’intéresser le plus possible à la vie du producteur, sur le lieu-même de son travail ; à l’éduquer à développer en lui les qualités humaines et, en premier lieu, l’aide mutuelle, la solidarité, la patience et la tolérance, ainsi – et surtout – que le sentiment de la responsabilité.

Les Sections sociales se réuniront aussi périodiquement et, comme les Sections techniques d’atelier, porteront les résultats obtenus à la connaissance des travailleurs des ateliers, des bureaux, des Syndicats, des Unions régionales, de la Confédération et de l’Internationale qui se chargeront, chacun en ce qui le concerne, de les informer également. Ainsi s’établira, du Travailleur à l’Internationale, et vice-versa, un double cycle, à mouvement continu, sur le plan technique et sur le plan social, qui permettra à chacun et à tous, d’être constamment au courant des affaires qui intéressent et le Travailleur et l’Individu.

CONSEILS D’USINE OU D’ENTREPRISE

Munis des renseignements qui leur sont fournis par les Comités d’atelier et leurs Sections, les Conseils d’usine, qui seront formés par tous les travailleurs de l’entreprise et composés des éléments les plus qualifiés de tous les services, remplaceront les conseils d’administration capitalistes.

Ils assureront donc la direction et la gestion de l’entreprise socialisée.

Ces Conseils auront pour mission de la faire fonctionner et de l’administrer au nom de la collectivité, sous le contrôle du Syndicat d’industrie et de leurs propres mandants. Ils seront pleinement responsables de leur activité devant tous les travailleurs de leur industrie locale.

Renseignés par le Syndicat d’industrie sur l’importance des commandes à effectuer et sur le caractère de celles-ci, alimentés par l’Office local des matières premières, fournis de main-d’œuvre par l’Office local qualifié, ils tiendront la comptabilité matières de l’entreprise et dirigeront, sur les points désignés par l’Office local des Échanges-Marchandises, renseigné lui-même par les Offices régionaux et nationaux correspondants, les excédents de production dont ils disposeront.

Ils présenteront le bilan de leur gestion aux travailleurs de l’entreprise, réunis en assemblée générale et le soumettront également au Syndicat d’industrie dont ils dépendront.

Ils se préoccuperont de la bonne utilisation de la main-d’œuvre reçue de l’Office local chargé de la répartir.

Lors de l’examen du bilan matériel et social par l’assemblée générale des travailleurs de l’entreprise, ceux-ci étudieront attentivement les résultats obtenus et prendront toutes les mesures nécessaires pour en obtenir de meilleurs encore. Ce travail d’émulation sera facilité par la connaissance simultanée du travail technique et du travail social réalisé dans les entreprises de même nature.

Cependant, quelle que soit l’importance des Comités d’atelier et des Conseils d’usine ou d’entreprise, il est évident qu’ils ne pourront être que les organes du Syndicat d’industrie.

SYNDICAT D’INDUSTRIE

Le Syndicat d’industrie est la véritable cellule de base de la production locale. Pourquoi ? Parce que les Comités d’atelier et Conseils d’usine ou d’entreprise, spécialisés dans une branche de cette industrie ou une partie de cette branche, ne sont pas à même d’organiser, dans la localité, la production de toute une industrie, ni d’assurer les rapports effectifs et indispensables entre toutes les entreprises de même nature, puisque leur activité se limite forcément à leur atelier ou à leur entreprise.

Seul, le Syndicat d’industrie, qui groupe toutes les entreprises ressortissant de l’industrie ; qui est composé de tous les travailleurs de cette industrie, est, par sa nature même, le régulateur industriel tout désigné dont la fonction s’impose. Il est seul qualifié, par sa nature, pour organiser et diriger, en toute connaissance de cause, la production de telle ou telle industrie, dans une localité déterminée.

Par son rôle actuel, par la tâche préparatoire qu’il est seul à accomplir, il est tout désigné pour accomplir cette besogne, à l’exclusion de tout autre groupement plus restreint, insuffisamment préparé ou inexistant en régime capitaliste.

Pour toutes ces raisons, et d’autres encore qui sont d’ordre social, le Syndicat d’industrie doit être la cellule de base de la production, tant industrielle qu’agricole, contrairement à ce que tentent d’accréditer, pour des buts politiques, les partis qui veulent se faire des instruments des Conseils d’usine ou d’entreprise.

Les Comités d’atelier et les Conseils d’usine sont, certes, les organes indispensables des Syndicats, mais ils ne peuvent, d’aucune manière et en aucun cas, se substituer à ceux-ci.

Au Syndicat d’industrie incombe le soin d’associer et de coordonner les efforts des entreprises de la localité ; de les approvisionner régulièrement en matières premières, de taire stocker, emmagasiner ou expédier, selon les cas, les produits finis ; de mettre à la disposition de la localité la production de son industrie en vue d’une répartition ou d’un échange par le soin des Offices locaux qualifiés.

Les excédents de production, non utilisables sur place, seront répartis, soit pour satisfaire les besoins des localités voisines, soit pour être échangés avec les régions les plus proches, soit pour être vendus à l’extérieur, selon les indications des Offices d’échanges locaux, régionaux ou nationaux.

Ces excédents seront emmagasinés par les soins des usines et dirigés sur leur destination par le Service de transport. On s’efforcera de réduire ce transport au minimum et d’utiliser, en toute circonstance, le mode le plus adéquat à la marchandise transportée, en tenant compte, toutefois, de la célérité à donner.

Les usines et Offices communaux recevront, dans les mêmes conditions, les matières premières et les produits provenant des autres régions ou de l’extérieur.

Afin d’éviter des transports inutiles, qui dépenseraient du temps et immobiliseraient, sans raison, un matériel qui serait plus utile ailleurs, le Syndicat construira sur le lieu même où se trouve la matière première essentielle, et cela dans toute la mesure du possible, les établissements industriels nécessaires. A défaut, il s’efforcera de les établir, en utilisant l’élément moteur naturel existant à proximité des constructions projetées.

Pour accomplir toute la tâche qui lui incombera, le Syndicat d’industrie sera composé de deux sortes de Sections : les Sections techniques et les Sections locales.

a) Sections techniques syndicales. – Elles ont pour mission de prolonger, au sein du Syndicat, l’activité déployée à la base, par les Sections techniques d’atelier. Au sein de ces Sections, les travailleurs se consacreront à l’étude des questions particulières à leur spécialité, à leur métier, en prenant pour base les travaux des Sections techniques d’atelier.

Les Sections techniques devront pénétrer dans le détail ; elles auront pour mission de généraliser, dans toutes les entreprises dépendant d’un même Syndicat d’industrie, l’emploi des meilleurs procédés de fabrication ; de faire essayer et de comparer les perfectionnements techniques étudiés par les laboratoires d’études et de recherches ; de s’informer auprès des Sections similaires, d’échanger avec elles, au sein des Syndicats et de leurs entreprises, au cours d’assemblées d’information, les renseignements susceptibles de faire progresser la marche générale des ateliers ; d’organiser par les meilleurs moyens et avec l’aide de tous ceux qui seront qualifiés, les cours professionnels qui formeront de bons ouvriers et maintiendront ainsi, au niveau le plus élevé, les connaissances des adultes.

b) Sections locales syndicales. – Ces Sections s’attacheront à l’étude des questions sociales intéressant leur métier ou leur spécialité. Elles développeront le travail exécuté à la base par les Sections sociales des Comités d’atelier.

Elles s’appliqueront surtout à l’éducation et à la formation sociale des jeunes ouvriers. Elles donneront aussi aux travailleurs, qui n’habitent pas sur le lieu de leur travail, la possibilité de participer à la vie sociale de leur Syndicat, sans avoir à se déplacer.

Ainsi seront comparées, dans la meilleure des émulations, les expériences faites dans les localités voisines.

A la vie professionnelle, qui se déroulera au sein des Comités d’atelier et des Syndicats, viendra s’ajouter la vie sociale qui se développera dans la localité pour former un ensemble fécond et harmonieux.

Un Syndicat d’industrie, qui comptera dix Sections techniques et, par son rayon d’action, dix localités, donc dix Sections locales, pourra, de cette façon, faire participer tous ses membres à la vie complète de l’organisation et atteindre le maximum de bons résultats.

Les conseils généraux et les assemblées générales des Syndicats, convoqués périodiquement ou suivant les besoins, permettront à l’ensemble des travailleurs de juger le passé, de contrôler leurs mandants et de préparer l’avenir.

Nul doute qu’organisé de cette façon, le Syndicat d’industrie ne soit capable de faire face aux tâches constructives de la révolution.

FÉDÉRATIONS RÉGIONALES D’INDUSTRIE

De même qu’il est indispensable de grouper tous les Syndicats d’une région déterminée pour assurer la vie économique de cette région dans les meilleures conditions, il est absolument nécessaire de réunir ces Syndicats par industrie, en vue d’organiser, dans le même cadre, la production industrielle.

La tâche des Fédérations régionales d’industrie sera exclusivement technique. Elle sera effectuée en accord avec les Unions régionales des syndicats d’une part, et les Fédérations nationales d’industrie, d’autre part.

Ces Fédérations régionales formeront le Conseil économique régional. Cet organisme fonctionnera sous le contrôle de l’Union régionale des Syndicats. Il aidera celle-ci à organiser rationnellement la vie économique de la région.

Pour remplir cette mission, exclusivement technique, je le répète à dessein, la Fédération régionale d’industrie disposera de six Offices principaux qui seront :

L’Office des Matières premières ;

de la Production ;

de la Main-d’œuvre ;

des Inventions ;

de la Statistique ;

des Echanges-Marchandises.

a) L’Office des Matières premières reçoit les renseignements des Syndicats régionaux de son industrie. Il connaît, par la voie du Conseil économique régional, les commandes à effectuer et à livrer ; il est chargé d’approvisionner en matières premières les usines et entreprises dépendant des Syndicats de son ressort.

D’accord avec les Syndicats d’industrie intéressés, il recherche les matières qui peuvent être utilisées sur place. Il n’a recours aux autres régions ou à l’extérieur que dans le cas de nécessité absolue : après avoir épuisé ses ressources ou s’il s’agit de produits spéciaux.

Il tient la comptabilité détaillée des entrées et sorties et la met à la disposition, par voie de statistiques et de graphiques, du Comité économique régional ou de l’Office de Statistiques.

b) L’Office de la Production est renseigné par les Syndicats de son industrie sur l’importance des matières extraites et transformées en produits finis dans les usines et entreprises de son industrie.

Il s’efforce de faire atteindre le chiffre de la production indiqué par le Conseil régional économique, fixé par la région et d’accord avec celle-ci, par le Conseil économique national.

Cet Office est le véritable régulateur de la production de son industrie dans sa région.

Il tient la comptabilité détaillée de cette production et la communique au Conseil économique régional.

c) L’Office de la Main-d’œuvre. – Cet Office a pour but de recenser et de répartir la main-d’œuvre employée dans l’industrie, dans le cadre régional.

Lorsque cette main-d’œuvre est excédentaire, il offre à l’Office correspondant de l’Union régionale les bras en sur-nombre. Si la main-d’œuvre est déficitaire, il demande le nombre d’hommes nécessaires à ce même Office.

Il appartiendra à ce dernier d’organiser les mutations d’industrie à industrie.

d) L’Office des Inventions. – L’Office dont il s’agit suivra, pas à pas, les travaux des bureaux, des laboratoires d’essais et de recherches, à l’aide des rapports qui lui seront fournis par les Syndicats de son industrie.

Il comparera les résultats obtenus avec ceux qui seront atteints dans les autres régions et portés à sa connaissance par les Offices similaires ; il s’efforcera de généraliser l’emploi des méthodes et des procédés qui s’imposeront par leur valeur.

Il renseignera sa Fédération d’industrie et le Conseil économique régional par l’Office correspondant et facilitera ainsi la tâche du Conseil économique national.

e) L’Office de la Statistique reçoit de tous les autres Offices fédéraux de la région et des Syndicats de son ressort tous les rapports et graphiques nécessaires à sa tâche ; en un mot, toute la documentation relative à la marche de son industrie : matières premières et produits transformés reçus et expédiés ; main-d’œuvre employée, disponible ou nécessaire.

Il doit pouvoir donner, à tout moment, tous les renseignements relatifs à l’activité de son industrie ; en connaître toutes les possibilités et les besoins.

Il communique, périodiquement ou sur demande, ses travaux aux Unions régionales, aux Fédérations d’industrie et aux Conseils régionaux économiques.

L’Office de la Statistique doit être le véritable miroir qui permet d’apercevoir, d’un seul coup, toute l’activité régionale d’une industrie quelconque.

f) L’Office des Echanges-Marchandises est informé par les Syndicats de son ressort de l’importance détaillée des matières et produits qui sont disponibles.

Il lui appartient de mettre cet excédent à la disposition de l’Office régional chargé de les faire diriger sur· leur destination.

De la même façon, il demande à cet Office les quantités et les catégories de matières premières et de produits qui lui sont nécessaires. Il donne toutes indications utiles pour les acheminer.

Il s’assure de la rapide· exécution de ces divers échanges et renseigne lui-même l’Office· de la Statistique.

LES FÉDÉRATIONS NATIONALES D’INDUSTRIE

Les Fédérations nationales d’industrie sont, auprès de la C.G.T., ce que sont, auprès des Unions régionales, les Fédérations régionales d’industrie.

Pour remplir leur rôle, elles disposent des mêmes Offices que les Fédérations régionales. Leurs Offices prolongent, sur le plan national, l’activité des Offices régionaux d’industrie.

Informés et renseignés de la sorte, par les Fédérations régionales d’industrie et leurs Offices, les Offices industriels nationaux préparent, sur tous les terrains, la tâche de leur Fédération au sein du Conseil économique national et celle de la Fédération internationale d’industrie au sein du Comité économique international.

De même que les Fédérations régionales d’industrie, les Fédérations nationales sont des rouages purement techniques.

LES FÉDÉRATIONS INTERNATIONALES D’INDUSTRIE

Les Fédérations internationales d’industrie, au même titre que les Fédérations nationales, sont les auxiliaires de la Confédération Générale du Travail, aident, dans la sienne, l’Internationale Syndicale.

Réunies, elles forment le Conseil économique international. Pour accomplir leur mission, elles sont dotées des mêmes Offices que les Fédérations nationales d’industrie.

Leur tâche est également semblable, sur leur plan, à celle qui incombe aux Fédérations régionales et nationales. Elles ne sont que le prolongement indispensable de ces dernières, surtout si la révolution s’étend à plusieurs pays.

Ce système permet certainement d’organiser la production industrielle, de bas en haut, dans la période révolutionnaire.

Parfaitement fédéraliste, conforme à nos principes, il permet aussi à chacun et à tous de participer avec efficacité à la marche d’ensemble de l’organisation industrielle.

Il n’a, bien entendu, rien d’immuable et il est susceptible de recevoir, sans à-coups, toutes lès modifications que la pratique et l’expérience· pourront imposer.

Cependant, tel quel, il représente, à mon avis, un minimum nécessaire. Il permet de franchir, sans trop de difficultés, la période transitoire de la révolution et d’envisager l’avenir avec confiance.