Victor GRIFFUELHES. — L’ACTION SYNDICALISTE (1908)
Article mis en ligne le 13 novembre 2013

par Eric Vilain

La bibliothèque du Mouvement socialiste réunit ici, dans un but de propagande, quelques articles publiés par moi, au cours de ces dernières
années. Les uns sont reproduits en entier, d’autres n’ont fourni que des
extraits. Mais les uns et les autres peuvent peut-être former un ensemble
susceptible de traduire en partie l’esprit et le caractère du mouvement ouvrier.

Je dis mouvement ouvrier, tout court, sans lui donner une épithète qui
n’aurait pour but que de renfermer l’action ouvrière dans les limites d’une
morale ou dans les cadres d’une conception dépendant d’une politique
quelconque.

On assiste, en effet, aujourd’hui, à un curieux spectacle. Les uns s’efforcent de rattacher les origines du mouvement ouvrier aux principes posés par la conception anarchiste ; les autres s’appliquent, au contraire, à les trouver dans la conception socialiste, – je veux dire dans la conception socialiste telles que la tradition et l’histoire de ces trente dernières années nous les ont fait connaître.

A mon sens, le mouvement ouvrier actuel ne remonte à aucune de ces
deux sources. Il ne se rattache directement à aucune de ces deux conceptions qui voudraient se le disputer : il est le résultat d’une longue pratique créée bien plus par les événements que par tels ou tels hommes. Et cette pratique est loin d’avoir eu une marche régulière : les incohérences la caractérisent, les contradictions la jalonnent. Et il en est ainsi, parce qu’elle n’est pas le produit d’une action exercée en vertu seulement de principes, mais d’une vie chaque jour renouvelée et modifiée.

Voilà la vérité : la vie ouvrière s’est renouvelée et modifiée par un perpétuel mouvement auquel ont pris part des hommes animés de conceptions philosophiques différentes. L’action ouvrière est comme la terre tournant autour du soleil. La gravitation s’opère par suite d’un mouvement que la terre fait sur elle-même ; c’est dans le mouvement quotidien que l’action ouvrière se développe et marque ses progrès. Ces progrès ne sont par
conséquent pas, à mes yeux, l’expression d’une science ou d’une formule,
mais la résultante d’efforts continus.

La grosse difficulté pour un mouvement ainsi compris est de créer une vie
syndicale profonde. Et cette création ne se réalise pas en essayant de ramener les événements et les faits à une théorie donnée, mais au contraire en s’efforçant de les diriger pour les orienter vers des fins brièvement énoncées.

Il est vrai que les disputes recommencent à propos de ces fins. Elles seront, disent les uns, dans une société sans gouvernement et sans autorité ; elles seront, disent les autres, dans une société gouvernée et dirigée. Qui a raison des uns ou des autres ? Je ne me charge pas de le dire. J’attends pour être fixé d’être de retour du voyage qui m’aura permis d’aller constater de visu.

Polémiquer à l’infini sur le système le meilleur est agréable, – mais pour
celui seulement qui, ne prenant directement aucune part à la lutte de la classe ouvrière, juge de très haut et de très loin. Car s’il est toujours facile de
formuler des théories, il est plus malaisé de les mettre en pratique.