Édouard Berth
Anarchisme individualiste, Marxisme orthodoxe, Syndicalisme révolutionnaire
Le Mouvement socialiste, 1er mai 1905
Article mis en ligne le 14 août 2015

par Eric Vilain

En matière d’action politique et sociale, les intellectuels n’inventent en
général pas grand-chose ; en revanche ils peuvent être très sensibles à « l’air
du temps » et ils perçoivent très bien les tendances qui se font jour dans les
mouvements sociaux, et lorsqu’ils s’y intéressent d’un peu près, ils s’en font les
interprètes. Cela ne retire rien à la sincérité de leurs engagements, ni a la
valeur des réflexions qu’ils fournissent. Un mouvement social attirera peu
d’attention s’il reste confiné dans des limites confidentielles. En revanche, s’il
prend une réelle ampleur, les philosophes et chercheurs en tout genre y
verront un intéressant sujet d’étude, quitte même éventuellement à adhérer
plus ou moins aux thèses, implicites ou non, contenues dans ce phénomène.

Ce propos vaut d’ailleurs pour Bakounine, qui fut incontestablement un des
plus grands théoriciens du mouvement social de la société européenne de la
seconde moitié du 19e siècle, mais dont l’oeuvre théorique n’est fondée que
sur l’observation attentive qu’il en fit. Il est vrai que Bakounine s’impliqua
passionnément dans le mouvement ouvrier de son temps, dont il fut un acteur
incontestable.

Aucun auteur, pas plus Bakounine qu’un autre, n’a « inventé » le
syndicalisme révolutionnaire. En revanche, lorsque au sein du mouvement
ouvrier, ce courant apparut, il ne manqua pas d’auteurs pour l’observer et le
théoriser. Georges Sorel est sans doute l’exemple le plus significatif, mais pas
le seul et de loin.

Autrement dit, le syndicalisme révolutionnaire qui, en tant que pratique, fut
une production spontanée de la classe ouvrière française, a préexisté au
syndicalisme révolutionnaire en tant que théorie. On peut dire, de la même
manière, que les théoriciens du syndicalisme révolutionnaire ne sont pas une
production spontanée du syndicalisme révolutionnaire en tant que pratique : ils
ne sont pas naturellement issus du mouvement ouvrier lui-même.
Gaëtan Pirou avait parfaitement raison lorsqu’il disait en 1925 : « Si l’on
veut présenter avec leur physionomie exacte les doctrines du syndicalisme
français d’avant-guerre, il est nécessaire d’examiner séparément les idées des
militants et celles des théoriciens. »