1922 : Le « Pacte » des syndicalistes révolutionnaires
Article mis en ligne le 4 février 2016
dernière modification le 1er novembre 2018

par Eric Vilain

Un « pacte » signé par dix-huit syndicalistes révolutionnaires, dont Pierre Besnard, suscita en 1922 une certaine indignation, de bonne foi du côté des libertaires, mais surtout de mauvaise foi chez les communistes de l’époque. Régulièrement, certains puristes du syndicalisme révolutionnaire ressortent ce « pacte » des placards pour stigmatiser les « anarcho-syndicalistes » manipulateurs et les couvrir de honte. Mais ce pacte, il faut le revendiquer. Besnard et ses camarades ont fait exactement ce qu’il fallait faire !!! Le problème est qu’il l’ont fait très maladroitement (manque d’expérience ?), et qu’ils ont échoué.

Un « pacte » signé par dix-huit syndicalistes révolutionnaires, dont Pierre Besnard, suscita en 1922 une certaine indignation, de bonne foi du côté des libertaires, mais surtout de mauvaise foi chez les communistes de l’époque. Régulièrement, certains puristes du syndicalisme révolutionnaire ressortent ce « pacte » des placards pour stigmatiser les « anarcho-syndicalistes » manipulateurs et les couvrir de honte. Mais ce pacte, il faut le revendiquer. Besnard et ses camarades ont fait exactement ce qu’il fallait faire !!! Le problème est qu’il l’ont fait très maladroitement (manque d’expérience ?), et qu’ils ont échoué.

Ce fameux pacte date de février 1921. Il provoqua une réponse indignée de Pierre Monatte. (L’Humanité du 22 juin 1922 : « Leur “Pacte”, c’est la négation et la destruction du syndicalisme ». Voir http://monde-nouveau.net/spip.php?article595)

Le passage qui semble avoir choqué le plus est celui où les signataires s’engagent à « œuvrer par tous les moyens en notre pouvoir pour qu’à la tête et dans tous les rouages essentiels du C.S.R., principalement à la tête de la C.G.T. quand elle sera en notre pouvoir et sous notre contrôle, nous assurions l’élection, aux postes les plus en vue et responsables, tant au point de vue des conceptions théoriques qu’à celui de l’action pratique, des camarades purement syndicalistes révolutionnaires, autonomistes et fédéralistes. »

Les dispositions de ce « Pacte » peuvent certes choquer, parce qu’elles rompent avec une vision Bisounours du syndicalisme, mais à cette époque-là, la vision Bisounours, illustrée par la charte d’Amiens, n’avait plus cours. Elle avait d’autant moins cours que les communistes français de l’époque, leurs conseillers soviétiques et Lozovsky lui-même (président de l’Internationale syndicale rouge) s’évertuaient à dire que la charte d’Amiens et l’indépendance syndicale étaient des notions dépassées !!!

En effet, la charte d’Amiens présuppose le principe d’unité de la classe ouvrière (une classe ouvrière=un syndicat), ce qui est très bien en principe mais reste illusoire dans la pratique : la charte d’Amiens dit que le syndicat doit être indépendant des sectes et des partis, et que ceux qui veulent faire autre chose que du syndicalisme doivent le faire ailleurs. C’est très bien aussi, à conditions que tout le monde joue le jeu.
Le problème est que tout le monde ne jouait pas le jeu !!!

A partir du moment où un groupe organisé, discipliné, cohérent mais extérieur au syndicat (le Parti communiste par exemple), décide de ne pas jouer le jeu et de pénétrer dans l’organisation syndicale pour en prendre le contrôle, personne, dans les faits, ne peut l’en empêcher.
On cite cette fameuse phrase de Pierre Sémard : « Nous avons pénétré dans la CGT comme une pointe d’acier dans une motte de beurre. »
Le rêve de l’unité s’effondre.
Or c’est ce qui s’est passé.

Lors du 2e congrès de l’Internationale communiste, une décision a été prise : tous les partis communistes membres de l’IC ont l’obligation d’appliquer 21 conditions impératives, sous peine d’exclusion.
Ils doivent ainsi « se conformer au programme et aux décisions de la IIIe Internationale » ; la presse et les éditions doivent être « entièrement soumis au Comité Central du Parti ». Il faut également « écarter des postes impliquant tant soit peu de responsabilité dans le mouvement ouvrier (organisations de Parti, rédactions, syndicats, fractions parlementaires, coopératives, municipalités) » tous ceux qui ne sont pas conformes. Il est même proposé de « les remplacer par des communistes éprouvés – sans craindre d’avoir à remplacer, surtout au début, des militants expérimentés, par des travailleurs sortis du rang ».

La 7e condition invite à créer une « rupture complète et définitive », dans « les plus brefs délais » avec le réformisme et le « centre », ce qui laisse interrogateur sur le désir affiché de ne pas créer de scissions dans le mouvement syndical.
Les partis communistes ont pour devoir « d’exiger de tout député communiste la subordination de toute son activité aux intérêts véritables de la propagande révolutionnaire et de l’agitation ». Ils doivent en outre instaurer « une discipline de fer confinant à la discipline militaire » et procéder à des « épurations périodiques ». Les décisions des congrès de l’Internationale communiste sont « obligatoires pour tous les Partis ».

Mais la cerise sur le gâteau, c’est la la 9e condition :

« Tout Parti désireux d’appartenir à l’Internationale Communiste doit poursuivre une propagande persévérante et systématique au sein des syndicats, coopératives et autres organisations des masses ouvrières. Des noyaux communistes doivent être formés, dont le travail opiniâtre et constant conquerra les syndicats au communisme. Leur devoir sera de révéler à tout instant la trahison des social-patriotes et les hésitations du “centre”. Ces noyaux communistes doivent être complètement subordonnés à l’ensemble du Parti. »

Est donc mise en place une stratégie de pénétration dans toutes les structures de la classe ouvrière en vue d’en prendre le contrôle. Aucun militant syndicaliste révolutionnaire de l’époque ne pouvait ignorer l’existence de cette politique. Tous ceux qui prirent la décision de soutenir la politique du gouvernement soviétique et de ses institutions internationales, aussi bien l’Internationale communiste que l’Internationale syndicale rouge, savaient nécessairement.
Aussi lorsque Monatte s’indigne que le « Pacte » des syndicalistes révolutionnaires va à l’encontre de la charte d’Amiens, il sait très bien ce qu’il en est.

Le « Pacte » de Besnard n’est rien d’autre que la réplique à cette attaque généralisée du communisme contre le mouvement syndical. Une réplique très maladroite. En outre, ils ont fait une ânerie pas croyable : ils ont rédigé un texte expliquant ce qu’ils allaient faire, et en plus, ils l’ont signé ! C’est confondant de maladresse parce que c’est le genre de chose qu’on fait, mais qu’on ne crie pas sur les toits. En outre, les signataires de ce « pacte » se sont montrés d’une naïveté invraisemblable en s’imaginant que l’information n’allait pas circuler. Et naturellement, leur « pacte » a été publié au moment même où ça arrangeait le plus ses adversaires : à la veille du congrès de la CGTU… Un hasard ???

Ce « pacte » daté de février 1921, fut signé par dix-huit syndicalistes révolutionnaires, dont Pierre Besnard – mais pas par Victor Griffuelhes, que certains auteurs veulent présenter comme la tête pensante derrière cette initiative [1] qui suscita une certaine indignation, de bonne foi du côté des libertaires, mais surtout de mauvaise foi chez les communistes et les compagnons de route de l’époque. Aucun document ne permet d’affirmer que Griffuelhes s’est trouvé derrière ça, et les auteurs qui le suggèrent ne se fondent que sur des suppositions.

Le « Pacte » de Besnard n’est rien d’autre que la réplique à cette attaque généralisée du communisme contre le mouvement syndical. Une réplique très maladroite. En outre, les signataires de ce document ont fait une ânerie incroyable : ils ont rédigé un texte réputé « secret », expliquant ce qu’ils allaient faire, et en plus, ils l’ont signé ! C’est confondant de maladresse parce qu’il eût été bien plus intelligent de proclamer publiquement leur intention. C’était faire preuve d’une candeur invraisemblable que d’imaginer que l’information n’allait pas circuler.
Lorsque l’existence du « Pacte » et son texte intégral furent révélés le dans La Bataille syndicaliste (15 juin 1922), celui-ci était dissous depuis près d’un an. Mais nous étions à un moment où ça arrangeait le plus ses adversaires : à la veille du congrès de la CGTU… Un hasard ???

Concluons sur Griffuelhes. C’était certes un « vétéran » de la CGT : il avait été à sa tête de 1901 à 1909 et en avait été un acteur décisif pendant la période héroïque de la confédération, et je ne pense pas que les militants de 1920 l’aient oublié, d’autant qu’il était alors un militant actif des Comités syndicalistes révolutionnaires, dans lesquels il avait soutenu les libertaires. Dire qu’il était « marginalisé » dans la CGT, c’est donc aller un peu vite en besogne. Il avait ensuite collaboré à la Vie ouvrière. A-t-il « orchestré » le « Pacte » ? Alors que Tosstorff est affirmatif, le « Maitron en ligne » se contente de dire qu’il « semble avoir été à l’origine du fameux “Pacte” secret ». Le fait est qu’il n’en est pas le signataire, ce qui est surprenant pour un militant qui l’aurait « orchestré ». A titre strictement personnel, je dirai que, bien plus expérimenté que la plupart des signataires du Pacte, s’il l’avait effectivement « orchestré » il aurait probablement mieux fonctionné.

Voici le texte de ce « Pacte » :

En acceptant ce pacte, les membres des C.S.R. soussignés, prenons l’engagement d’observer à la lettre l’esprit de ce qui suit :
1° – Ne révéler à personne l’existence de notre comité.
2° – Être présents à toutes les réunions du comité à moins de cas imprévus et sérieux. Fournir des explications justifiées aux camarades.
3° – Pratiquer entre nous une solidarité effective, matérielle et morale sans limite. Se défendre mutuellement contre toute attaque et répondre l’un de l’autre comme de soi-même. Se prêter aide et protection réciproque en se réclamant solidaire l’un de l’autre.
4° – S’astreindre à une discipline très sévère en vue de coordonner tous nos efforts dans la même direction.
5° – Notre seule direction et notre constante préoccupation doit être de faire éclore la Révolution, pour cette cause nous nous engageons à donner nos biens et notre vie.
6° – Représentant individuellement et collectivement le syndicalisme révolutionnaire, nous nous engageons en notre âme et conscience à défendre le fédéralisme et l’autonomie du mouvement syndicaliste.
7° – Nous nous engageons à œuvrer par tous les moyens en notre pouvoir pour qu’à la tête et dans tous les rouages essentiels du C.S.R., principalement à la tête de la C.G.T. quand elle sera en notre pouvoir et sous notre contrôle, nous assurions l’élection, aux postes les plus en vue et responsables, tant au point de vue des conceptions théoriques qu’à celui de l’action pratique, des camarades purement syndicalistes révolutionnaires, autonomistes et fédéralistes.
8° – Nous nous engageons à ne poursuivre la lutte quotidienne générale que sur le terrain du syndicalisme révolutionnaire, à ne nous inspirer que de ses conceptions propres et à ne subir aucune influence extérieure.
9° – Producteurs, notre action et notre espoir se placent dans la vie économique et dans le changement économique de la société. Le syndicat étant la base de la société future, le syndicalisme doit être son couronnement.
10° – Toute critique qui pourrait surgir des personnes ou des idées du Comité doit être formulée au sein du Comité et rien n’en doit transpirer.
11° – Pour l’admission des nouveaux membres, les candidats doivent être présentés par l’un de nous sans qu’il s’en doute, et, en cas d’admission, en principe, les candidats doivent être préparés et travaillés d’avance avant la rentrée, afin d’obtenir leur consentement pour le Pacte et pour toutes ses conséquences et ensuite être amenés au Comité.
Verdier, Besnard, Marie, Bische, M. Relenque, Churin, Macheboeuf, Scheiber, Pothion, Jouve, Ferrand, Daguerre, Maison, Gaudeaux, Sirolle, Varlot, Totti, Fourcade.

Maintenant que dit ce pacte ?

1) que son existence ne doit pas être révélée, 2) qu’il faut assister aux réunions, 3) il faut que ses membres soient solidaires, 4) être discipliné, 5) militer pour la révolution, 6) défendre le fédéralisme et l’autonomie dans le mouvement syndical, 8) rester sur le terrain du syndicalisme révolutionnaire, 9) militer sur le terrain de classe (économique), 10) ne pas dégoiser à l’extérieur, 11) fonctionner par cooptation.
Tout ça n’est pas bien méchant, à part le point 1) qui fait plutôt boy-scout.
C’est surtout le point 7 qui indigne les bonnes âmes. Au fond, ce point-là évoque un peu la 9e condition d’admission à l’Internationale communiste, mais il reste selon moi très en dessous d’elle.

Il y a quand même une différence : alors que la 9e condition de l’IC vise à assurer le contrôle des communistes sur le mouvement syndical, la 7e condition du « Pacte » vise à en assurer l’indépendance en faisant élire, au sein de la CGTU, des « camarades purement syndicalistes révolutionnaires, autonomistes et fédéralistes ».
Ce fameux « Pacte » a été mis en place par des militants maladroits, dont ce genre de magouille n’était manifestement pas la tasse de thé et qui ne disposaient pas des conseillers techniques soviétiques qui pilotaient alors les dirigeants de la CGTU.
Monatte est bien mal venu de reprocher au « Pacte » des syndicalistes révolutionnaires d’être « la destruction du syndicalisme », lui qui est resté si discret sur les mesures mises en place par l’Internationale communiste pour détruire le mouvement syndical, et sur son propre rôle dans cette affaire.