{Le Mouvement socialiste}, 12 janvier 1904
Robert Michels : “Les dangers du parti socialiste allemand” (1904)
Article mis en ligne le 15 octobre 2017
dernière modification le 25 octobre 2017

par Eric Vilain

« Le pays qui a donné trois millions de voix aux socialistes — c’est-à-dire environ le tiers des suffrages exprimés — est politiquement le plus arriéré de l’Europe, à l’exception de la Russie et de la Turquie. Ces trois millions de voix « socialistes », officiellement enregistrées, n’ont en rien altéré la politique de l’Empire, ni à l’intérieur ni à l’extérieur. L’Allemagne est toujours le pays de l’absolutisme personnel le plus inouï. Bien que l’industrie s’y soit développée au point de faire une redoutable concurrence à l’Angleterre elle-même, ce n’est pas la bourgeoisie roturière qui y règne, mais la noblesse rurale. Les hobereaux y jouissent encore des privilèges que la civilisation moderne, malgré toutes ses formes capitalistes, a abolis presque partout ailleurs. »

Les dangers du parti socialiste allemand

Robert MICHELS

Le Mouvement socialiste, 12 janvier 1904

http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k5737099t/texteBrut

Le pays qui a donné trois millions de voix aux socialistes — c’est-à-dire environ le tiers des suffrages exprimés — est politiquement le plus arriéré de l’Europe, à l’exception de la Russie et de la Turquie. Ces trois millions de voix « socialistes », officiellement enregistrées, n’ont en rien altéré la politique de l’Empire, ni à l’intérieur ni à l’extérieur. L’Allemagne est toujours le pays de l’absolutisme personnel le plus inouï. Bien que l’industrie s’y soit développée au point de faire une redoutable concurrence à l’Angleterre elle-même, ce n’est pas la bourgeoisie roturière qui y règne, mais la noblesse rurale. Les hobereaux y jouissent encore des privilèges que la civilisation moderne, malgré toutes ses formes capitalistes, a abolis presque partout ailleurs.

Ces féodaux se sont réservés, comme sinécure, les grades d’officiers de tout un corps d’armée et d’une vingtaine de régiments de ligne, de même que toutes les places dans la diplomatie. Pour eux, l’égalité devant la loi n’existe même pas : par la fameuse loi des « fidéicommis », ils se sont assurés la transmission héréditaire de biens indivisibles et inaliénables — même après la banqueroute du propriétaire — et le droit d’en créer de nouveaux. Bien plus : il y a des catégories entières de citoyens — qui se comptent par de nombreux millions, — tels que les ouvriers ruraux et les domestiques, qui sont privés de tout droit de réunion, d’association et de grève. Par contre, le même régime qui prive une si grande quantité de ses sujets des droits les plus élémentaires, réserve à une foule de privilégiés les droits les plus barbares. C’est ainsi qu’en Prusse, le maître peut — par la loi du Gesindeordnung — souffleter sa domestique sans que celle-ci puisse se plaindre. Et cette « liberté » des maîtres à l’égard de leurs servantes, ne reste pas lettre morte : la presse nous en révèle parfois de répugnants exemples.

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