LA PRÉÉMINENCE DU FAIT ÉCONOMIQUE
René Berthier

Source :
Extrait de « Essai sur les fondements théoriques de l’anarchisme » :
http://monde-nouveau.net/IMG/pdf/-_Essai_sur_les_fondements_theoriques_de_l_anarchisme_-.pdf

Article mis en ligne le 8 août 2011
dernière modification le 11 août 2011

par Eric Vilain

Chacun des stades d’évolution historique correspond à des modes d’exploitation du travail et à la domination de classes différentes. Bakounine avait parfaitement défini le cœur de l’opposition qui le séparait de Marx : la théorie des stades successifs d’évolution historique. Non pas qu’il niât l’existence de ces périodes dans l’histoire de l’Occident : il en contestait seulement le caractère nécessaire et universel.

A plusieurs reprises Bakounine déclare clairement que la méthode de Marx est justifiée. Ce dernier a « établi comme principe que toutes les évolutions politiques, religieuses, et juridiques dans l’histoire sont non les causes mais les effets des évolutions économiques » (IV, 437).
On peut donc légitimement penser qu’entre les deux hommes il y a un accord général sur la méthode d’analyse matérialiste de l’histoire, que Bakounine résume en ces termes : « Tandis que les idéalistes prétendent que les idées dominent et produisent les faits, les communistes, d’accord en cela avec le matérialisme scientifique, disent au contraire que les faits donnent naissance aux idées et que ces dernières ne sont jamais autre chose que l’expression idéale des faits accomplis. »

Ailleurs, dans l’Empire Knouto-germanique, Bakounine revient à la charge :

« Les historiens qui ont essayé de tracer le tableau général des évolutions historiques de la société humaine sont toujours partis d’un point de vue excessivement idéal, considérant l’histoire soit sous le rapport des développements religieux, esthétiques ou philosophiques, soit sous celui de la politique, ou de la naissance et de la décadence des Etats ; soit enfin sous le rapport juridique. » (VIII, 282)
Tous ces historiens, continue-t-il, ont presque également négligé ou ignoré le « point de vue anthropologique et économique, qui forme pourtant la base réelle de tout le développement humain ». Bakounine rappelle au passage le rôle de Marx dans la constitution d’une véritable méthode scientifique, mais il constate que même ce dernier n’a pas encore écrit d’ouvrage historique où cette méthode serait développée. Il ne pouvait évidemment pas connaître l’Idéologie allemande, qui ne sera publié qu’en 1927. Aussi conclut-il que « l’histoire comme science n’existe encore pas » (VIII 28.) Il ne partage cependant pas les certitude de Marx, et considère tout au plus qu’il vit les débuts de la période de constitution de cette science qui permettra de comprendre les mécanismes du développement de la société. Evoquant la sociologie, quelques années auparavant, en 1869, il dit aussi qu’elle est « une science à peine née », qu’elle est à la recherche de ses éléments et qu’il lui faudra « un siècle au moins, pour se constituer définitivement et pour devenir une science sérieuse, quelque peu suffisante et complète » (FSA, 111).