Cahiers du Cercle d’études libertaires Gaston-Leval n° 6
PROUDHON
Article mis en ligne le 11 avril 2012

par Eric Vilain

L’originalité de Proudhon réside peut-être dans le fait qu’il a proposé une voie différente dans la réflexion sur le socialisme, une voie qui tente de contourner ce blocage psycholo­gique que la question de la propriété a constitué dans les débats au sein du mouvement ouvrier. Aujourd’hui, la notion même de propriété des moyens de production est devenue ambiguë dans une société où les grandes entre­prises dirigées par un propriétaire détenteur de la totalité du capital restent minoritaires. L’éventualité d’une expropriation des propriétaires des princi­paux moyens de production ne correspondrait pas aujourd’hui au phantasme du bourgeois du XIXe qui se voyait jeté hors de chez lui par des hordes de prolétaires faméliques et avides : elle se ferait de manière pratiquement invi­sible par le transfert informatique des actions et des obligations sur un autre compte, au bénéfice de la communauté – dont, soit dit en passant, les expro­priés eux-mêmes feraient partie.

Consulté à la fin de sa vie par des ouvriers pour donner son avis sur le « Manifeste des Soixante », Proudhon se réjouit du « réveil de l’idée socialiste ». Mais le fin mot de l’histoire se trouve sans doute dans La Capacité politi­que des classes ouvrières, son dernier ouvrage, publié après sa mort. Il y fait en quelque sorte son testament politique et c’est un étonnant exposé de la situation du mouvement ouvrier de l’époque. Il expose quelles sont les conditions pour que le prolétariat puisse parvenir à la capacité politique et conclut qu’alors, toutes les conditions ne sont pas remplies :

1. La classe ouvrière est arrivée à la conscience d’elle-même « au point de vue de ses rapports avec la société et avec l’Etat », dit-il ; « comme être collectif, moral et libre, elle se distingue de la classe bourgeoise ».

2. Elle possède une « idée », une notion de sa propre constitution, elle connaît « les lois, conditions et formules de son existence ».

3. Mais Proudhon s’interroge pour savoir si « la classe ouvrière est en me­sure de déduire, pour l’organisation de la société, des conclusions prati­ques qui lui soient propres ». Il répond par la négative : la classe ouvrière n’est pas en mesure de créer l’organisation qui permettra son émancipation.