CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL
Sur la grève générale. — Victor Griffuelhes

Sources :
Le Mouvement socialiste : revue bi-mensuelle internationale...
1904-06
Description : 1904/06 (A6,N137)-1904/07 (A6,N138).
Droits : domaine public
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Source : Bibliothèque nationale de France, département Fonds du service reproduction, 2009-67977
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Provenance : Bibliothèque nationale de France

Article mis en ligne le 19 mai 2016

par Eric Vilain

La rapidité avec laquelle l’idée de grève générale s’est répandue dans les milieux ouvriers témoigne de sa force de pénétration. Cependant, les adversaires de cette forme d’action sont encore nombreux chez ceux-là qui se réclament des idées d’émancipation sociale.
Tandis que les défenseurs de notre état social croient à l’éventualité d’une lutte se manifestant par la cessation complète du travail, des partisans d’une transformation sociale s’en proclament les adversaires !
En effet, les propagandistes de l’idée de grève générale sont traités de rêveurs, d’utopistes, de fous, par des citoyens traités comme tels, de leur côté, par les conservateurs bourgeois, pour vouloir bouleverser l’ordre de choses actuel. Or, les partisans du moyen d’action qu’est la grève générale veulent, eux aussi, ce même bouleversement ! C’est là une constatation quelque peu choquante. Elle permet à des citoyens de croire à l’imprévoyance de ceux qui la créent.

CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE
DU TRAVAIL

Victor Griffuelhes Secrétaire de la « Confédération Générale du Travail ».

La rapidité avec laquelle l’idée de grève générale s’est répandue dans les milieux ouvriers témoigne de sa force de pénétration. Cependant, les adversaires de cette forme d’action sont encore nombreux chez ceux-là qui se réclament des idées d’émancipation sociale.
Tandis que les défenseurs de notre état social croient à l’éventualité d’une lutte se manifestant par la cessation complète du travail, des partisans d’une transformation sociale s’en proclament les adversaires !
En effet, les propagandistes de l’idée de grève générale sont traités de rêveurs, d’utopistes, de fous, par des citoyens traités comme tels, de leur côté, par les conservateurs bourgeois, pour vouloir bouleverser l’ordre de choses actuel. Or, les partisans du moyen d’action qu’est la grève générale veulent, eux aussi, ce même bouleversement ! C’est là une constatation quelque peu choquante. Elle permet à des citoyens de croire à l’imprévoyance de ceux qui la créent.
Néanmoins, l’obstruction ouverte ou déguisée n’a pas arrêté la propagation de l’idée de grève générale, puisque chaque jour lui amène de nouvelles adhésions. Ce qui le montre, c’est que les faits ne manquent pas d’obliger, même les hostiles, à utiliser cette forme de lutte. N’empêche qu’après l’avoir employée, on s’en déclare l’adversaire, malgré qu’on se dispose à y recourir à nouveau.
Les motifs de cette nouvelle contradiction ne sauraient échapper à l’observateur impartial qui se garde de les faire siens. Et pour cause. J’aurais voulu marquer les raisons de cette attitude, mais ce serait compliquer cette Enquête.
Je me bornerai, à ce début, à répéter que la grève générale apparaît de plus en plus comme un puissant outil pour la lutte ouvrière. Les manifestations de grève générale se renouvellent avec une intensité que les premiers propagandistes n’avaient pu prévoir et qui dénotent l’impossibilité, pour les hommes, d’en arrêter ou d’en paralyser le grand essor.

Que les capitalistes affirment le caractère insensé de la grève générale, tout en prenant leurs dispositions pour en annihiler les effets, c’est leur droit et c’est leur intérêt ! Que des unités du mouvement social s’obstinent à ne pas croire à sa possibilité, voilà qui est faire montre d’un réel aveuglement, préparant à ceux qui en sont victimes, de cruelles déceptions.
Si je ne me trompe, cette Enquête a pour but, non de faire œuvre de vulgarisation, mais de vaincre des résistances et des appréhensions, ou de dissiper des erreurs.
On conviendra qu’il est difficile, sinon impossible, de convaincre des hommes qui ont, à mon sens, le grave tort de vouloir vivre une époque disparue, tant il est vrai que les faits évoluent avec une plus grande célérité que les cerveaux humains.
A un moment donné, on formule rapidement, et on croit aisément que les hommes en se mouvant, ont présentes à l’esprit les « vérités » proclamées pour s’en inspirer ; on est persuadé que les événements vont leur train, suivant le tracé défini en vertu d’une orthodoxie rigoureuse et étroite. Puis les faits passent, les hommes se succèdent, et on assiste étonné — on pourrait dire naïf — au bouleversement de ces formules que, bien intentionné, on a créées. On ne se rend pas compte de la transformation qui s’est opérée, et durant que les autres marchent en s’agitant, on reste sur place, l’œil obstinément fixé sur le but, l’esprit toujours porté sur la même préoccupation : la formule établie.

Enregistrer la vie douloureuse du prolétariat assujetti par les possédants, dont l’expression politique est le pouvoir central, est bien ; assigner comme tâche, la conquête de ce pouvoir, pour en retourner les effets, est insuffisant. A se cantonner dans ces vues, on finit par « retarder », et on passe à côté de moyens d’action qui ne sont que la condensation d’efforts nécessaires et la forme de lutte adéquate à des éléments sociaux.
La conquête du pouvoir est nécessaire dans l’esprit de beaucoup de camarades, et pour y parvenir il faut créer les cadres d’une organisation s’exerçant en vue de cette conquête. Cette organisation ne peut comprendre logiquement que les individus qui reconnaissent les antagonismes de classe en les matérialisant organiquement. Cette organisation, contre laquelle je n’ai pas à m’élever, repose simplement sur une concordance d’idées, puisqu’elle peut grouper des hommes économiquement adversaires. Cependant cette coopération est nécessaire, le mouvement ouvrier étant assez vaste et assez souple pour ne pas rejeter les concours qui s’offrent. II n’en est pas moins vrai que cette coopération a eu, à de certaines périodes, des effets désastreux.

Le citoyen Édouard Berth me permettra de faire miennes les conclusions d’un récent article, paru dans le Mouvement Socialiste (avril 1904) : C’est dans l’idée.de la grève générale qu’est contenue peut-être toute l’essence révolutionnaire du socialisme.
Quels que soient les désirs et les formules, il existe une organisation spécifiquement ouvrière, reposant sur une concordance de besoins, qui tend à créer une concordance d’idées. Cette organisation, qu’on appelle le mouvement syndical, n’est que la représentation de l’atelier et de l’usine. Elle comprend des hommes vivant dans les mêmes conditions, courbés sous des règles identiques.
Si la vie ouvrière s’exerce et s’alimente à l’atelier et à l’usine, le mouvement syndical en est l’expression. Les préoccupations intimes du travailleur, provoquées par les conditions de travail qui lui sont faites chez le patron et dont il constate les durs effets dans son foyer, trouvent leur tribune et leur écho dans le syndicat.

Et malgré les défauts de ces groupements — défauts qu’en grande partie, l’on pourrait attribuer à la fausse éducation sociale donnée à l’ouvrier — ils sont bien l’émanation, je dirai la physionomie de la vie ouvrière, dont l’organisation politique doit s’inspirer sans la représenter.
Aujourd’hui, nul ne songe et nul n’oserait contester la nécessité du mouvement syndical, mais on voudrait limiter son effort en le subordonnant à des courants trop sujets à. variation alors qu’on devrait reconnaître qu’à un mouvement qui va croissant il faut des moyens d’action tirés des formes mêmes du groupement qui le produit.
Il est aisé de se rendre compte que la grève générale surgit des formes du groupement syndical et de l’orientation qui s’en dégage. Le développement des organes ouvriers l’indique, leur évolution le montre. Certes, le nombre des syndicats, en ces dernières années, n’a pas augmenté outre mesure. En revanche, et c’est ce qui est symptomatique, le besoin éprouvé par ces syndicats de se grouper par leur Bourse du Travail et par leur Fédération nationale corporative prouve bien que le côté égoïste, qui, pour d’aucuns, constituait le caractère fondamental du syndicat, disparaît, ou pour parler plus exactement, que la conscience ouvrière, s’affirmant dans le syndicat, se précise en se développant.

Ces organismes, en annihilant le caractère strictement professionnel de chacun de leurs éléments, les appellent à une vie sociale plus élevée ; cette vie doit se faire jour pour se développer, et c’est dans des manifestations de lutte qu’elle prend corps et se matérialise.
Et comme il ne suffit pas à ces organismes de créer une vie sociale qui nivelle les consciences et engendre l’action, ils se rapprochent et se mêlent à leur tour. Ce contact et ce mélange constituent un mouvement ouvrier en France dont on ne saurait nier l’importance.
Cette importance n’échappe pas à nos adversaires. Les dirigeants, effrayés d’un mouvement qui déborde, voudraient le tuer en lui attribuant la formation d’un complot contre la sûreté de l’Etat. En province, les ordres sont donnés pour chercher les traces d’une organisation, qui, de Paris, à leurs yeux, commande et dirige. Si des éléments étaient recueillis, on instruirait contre les militants, et on espère que le mouvement, décapité, serait mort pour longtemps.

Les gouvernants, qui croient que le mouvement ouvrier s’exerce en vertu de formules et de résolutions, se trompent lourdement. La vie ouvrière est trop complexe dans ses manifestations de détail, mais dont la conception et l’esprit sont cependant communs, pour se prêter aux inepties des dirigeants. Et ce qui amène ces derniers à croire à un organisme rigoureux, automatique et directeur, c’est l’effroi que leur cause une cessation générale du travail. Ils escomptent une lutte gigantesque, et connaissant l’esprit révolutionnaire qui l’animerait, ils sont décidés à prendre les devants en arrêtant tout.
C’est en prévision de cette éventualité qu’un plan de mobilisation a été établi au Ministère de la Guerre. En cas de grève générale, porte ce plan, tel officier d’Épinal devra se rendre au Creusot, etc..
Et voilà que, alors que les capitalistes s’arment en vue de cette échéance, des citoyens estiment que la grève générale est utopique !

Je ne puis mieux faire que de me placer derrière cette définition si nette et si claire, que contient une communication du syndicat des maçons de Reims, parue dans la Voix du Peuple, organe de la Confédération générale du travail, du 8 mai. Rendant compte d’une causerie, il est dit : « Passant en revue les questions portées à l’ordre du jour du Congrès de Vichy, Guyot explique que la grève générale ne peut être que la Révolution elle-même , car, comprise autrement, elle ne serait qu’une nouvelle duperie. Des grèves générales corporatives ou régionales la précéderont et la prépareront. »
On ne peut mieux dire et, entre gens qui veulent comprendre, cette définition devrait suffire.

Dans les milieux ouvriers, c’est ainsi qu’on présente la grève générale. Certes, il a été un temps où on la montrait sous un autre aspect, où on lui donnait un caractère différend, mais il faut convenir que rien ne fut tenté, en se prêtant à une discussion sans réserve, pour préciser cette idée. De plus, la conscience ouvrière était loin d’être ce qu’elle est aujourd’hui ; et puis, c’était plutôt la définition d’une idée théorique résumant des aspirations, qu’une interprétation de faits telle qu’on l’envisage actuellement.
La grève générale est le refus des producteurs de travailler pour procurer jouissance et satisfaction aux non-producteurs ; elle est l’explosion consciente des efforts ouvriers en vue de la transformation sociale ; elle est l’aboutissant logique de l’action constante du prolétariat en mal d’émancipation ; elle est la multiplication des luttes soutenues contre le patronat. Elle implique comme acte final un sens très développé de la lutte et une pratique supérieure de l’action. Elle est une étape de l’évolution marquée et précipitée par des soubresauts, qui, comme le dit Guyot dans l’ordre du jour plus haut rapporté, seront des grèves générales corporatives.

Ces dernières constituent la gymnastique nécessaire, de même que les grandes manœuvres sont la gymnastique de la guerre.
On n’attend pas de moi l’explication détaillée du mouvement final, pas plus que des actions généralisées des corporations, que, pour l’instant, je ne puis prévoir. Je ne veux nullement jouer au prophète, en traçant un plan qui assignerait à chaque homme la place qu’il devra occuper. Que du haut d’un septième ciel, on s’amuse à poser des jalons sur une carte représentant le monde social, voilà qui n’est pas de mon goût.
Tout mouvement révolutionnaire n’a donné que ce que la classe opprimée du moment concevait, et a su prendre. La révolution, entrevue par tous, et que le monde ouvrier appelle grève générale, sera elle aussi, ce que le travailleur l’aura conçue et saura la créer. L’action se déroulera selon le degré de conscience de l’ouvrier, et selon l’expérience et le sens de la lutte qu’il se sera donnés.

Comme cette action devra s’exercer contre des forces multiples et variées, comme elle devra réagir contre des courants divers, ce ne seront pas des décisions uniformes et étroites qui seront applicables. Il appartiendra au travailleur d’adapter au milieu d’alors et aux éléments contraires les armes que les circonstances mettront à sa portée.
La grève générale, dans son expression dernière, n’est pas pour les milieux ouvriers le simple arrêt des bras ; elle est la prise de possession des richesses sociales mises en valeur par les corporations, en l’espèce les syndicats, au profit de tous. Cette grève générale, ou révolution, sera violente ou pacifique selon les résistances à vaincre. Elle sera la totalisation des efforts des producteurs sous l’impulsion des groupements ouvriers.

Mais nous n’entendons pas fixer le jour ni l’époque qui mettra aux prises salariés et salariants. Il n’appartient à nulle force humaine de l’indiquer.
Le mouvement naîtra des circonstances, d’une mentalité ouvrière plus élevée, à la hauteur des événements qui porteront en eux-mêmes les éléments de généralisation.
Les éléments de généralisation se définissent par le rôle joué dans la production par telle ou telle industrie, entraînant la mise en action d’une autre industrie- dont les effets iront se répercutant sur d’autres branches de l’activité humaine.
On objectera que tout cela ne dénote pas un degré supérieur d’organisation, qu’il n’est pas possible de mettre en mouvement au même jour la classe ouvrière en totalité. Je répondrai d’abord que nous ne prétendons nullement qu’un point de départ peut ne pas être commun à tous les travailleurs ; nous ne disons pas que cela ne peut se produire.
Nous nous inspirons des contingences sociales et nous disons que la conquête légalitaire du pouvoir ne saurait impliquer, pour ceux qui s’hypnotisent devant elle, l’entrée totale d’élus ouvriers au Parlement. Ceux-là disent que la majorité suffira pour transformer l’état social. La conquête révolutionnaire du pouvoir ne saurait non plus être l’acte unanime du pays. De part et d’autre, il y aura des gens entraînés malgré eux et subissant le résultat de cette conquête. Et j’espère bien que les uns et les autres raisonnent ainsi, car autrement ils pourraient attendre l’an 50.000.
Il nous est donc permis de dire que les travailleurs organisés de certaines industries s’agiteront sous l’empire de préoccupations données, obligeant d’autres corporations à les suivre.

La révolution, quel que soit son stimulant, ne saura être acceptée par tous. Une minorité, que nos efforts incessants de propagande et d’action tendent à grossir, suscitera le mouvement révolutionnaire dont la nécessité apparaît à chacun.
Une plus forte éducation sociale, une grande expérience dans la lutte, une profonde connaissance du milieu social sont autant de conditions nécessaires. Pour les acquérir, l’action s’impose. Par l’étude des conditions du travail, l’ouvrier apprend à connaître le milieu qui l’asservit ; par l’effort en vue de les améliorer, il prend un contact direct avec les forces qui le dominent et il éprouve leur degré de résistance. Ainsi, son esprit d’observation et d’examen s’affine ; il se donne les éléments indispensables pour se diriger lui-même ; il contribue à donner à l’action du monde ouvrier une place et une autorité.
Chacun reconnaît l’urgence pour le prolétaire de travailler à accroître ses moyens d’existence, ce qui augmente d’autant sa force de combativité et son avidité pour plus de réformes. En se groupant l’ouvrier exerce un effort, et c’est dans la pratique de cet effort qu’il parvient à l’intensifier. Et c’est par cette intensité, suscitant une croissance de vie, que la classe ouvrière se libérera du monde capitaliste.

Le but du travailleur est son émancipation, l’outil est le groupement, le moyen est la lutte. L’action ouvrière se donne comme but l’émancipation ouvrière ; elle se donne comme outil le syndicat, et comme moyen la grève, qui est la lutte portée à son maximum d’acuité. De là, le recours, pour un résultat matériel et moral, à la grève. Et s’il a été un temps où la grève, pour certains, était condamnable, parce qu’elle détournait, à leurs yeux, l’attention de l’ouvrier de l’idée de grève générale, il n’en est pas de même aujourd’hui. Alors que l’on opposait la grève, manifestation de l’atelier et de l’usine, à la grève générale, manifestation de la vie sociale, à présent on considère que l’une et l’autre procèdent du même esprit : la résistance et l’obtention de réformes. La grève générale est le complément amplifié du désir prolétarien pour plus de mieux-être. On ne songe donc pas à les opposer l’une à l’autre. Toutes deux sont maniées par l’ouvrier pour les mêmes fins : l’émancipation des travailleurs.
Cela est si bien compris, qu’aux luttes particulières tendent à succéder des luttes à caractère généralisé. Dès qu’une maison est en grève, immédiatement l’objectif est d’étendre cette grève aux autres maisons. Il est arrivé que la vie de toute une ville était arrêtée, non pas seulement parce que l’esprit de solidarité s’est développé, mais parce que la connexité des corporations éclate plus nettement, ce qui crée la communauté d’efforts dans la résistance.

Ces dernières années, il nous a été donné de voir des mouvements passer par ces différentes phases. Marseille, en particulier, a été le théâtre d’événements de cette nature.
A côté de la grève générale localisée, il y a la grève générale corporative. Celle-là a pour objet la conquête d’une réforme précise. Les réformes à obtenir sont d’ordre différent. Tantôt la classe ouvrière peut se dresser pour imposer au patronat telle ou telle revendication, tantôt elle peut se lever pour exiger des dirigeants telle ou telle réforme. Dans l’un comme dans l’autre cas, c’est le travailleur accomplissant lui-même son effort pour son avantage propre. C’est l’application de la maxime de l’Internationale : l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.
La grève nationale corporative des mineurs en octobre 1902 prouve que cette forme de mouvement est possible. Il est inutile d’indiquer les raisons qui amenèrent son insuccès. Elles ne sont pas dues à la forme de la lutte.

Les Belges, par deux fois, ont utilisé la grève générale pour l’obtention du suffrage universel, et malgré l’insuccès de la deuxième que j’ai analysé ailleurs en son temps, ils paraissent décidés à l’employer une fois de plus.
Les Suédois, à qui elle a déjà si bien réussi, se préparent à une nouvelle mise en mouvement.
Les Hongrois, récemment, malgré la propagande hostile à l’idée de grève générale, y ont eu recours, et c’est parce qu’elle a été exercée par des gens qu’une éducation n’avait pas préparés, que le mouvement a avorté. Et si elle eut duré deux jours de plus, la grève s’étendait à tout le pays. Mais telle quelle, elle n’en contient pas moins un profond enseignement.
On peut répondre, en effet, que les résultats apportés par ces mouvements ne sont pas des plus probants. A côté des satisfactions enregistrées, les déboires n’ont pas manqué, admettons-le. Mais pourquoi les Belges et les Suédois, qui ne s’en sont jamais déclarés partisans, sont-ils disposés à renouveler la grève générale ? Sans doute, parce qu’elle constitue pour eux un excellent moyen d’action !

Il y a lieu d’ajouter que la conquête électorale du pouvoir a donné bien des déceptions. Tel siège emporté était perdu peu après, et alors, s’il est vrai que les insuccès doivent faire condamner la forme d’action employée, que doit-il rester du suffrage universel ? Il m’apparaît clairement qu’il devrait être relégué au magasin des accessoires.
Et si des citoyens sont logiques en ne condamnant pas tel moyen d’action dont les défaites ne se comptent plus, pourquoi condamnent-ils tel autre moyen qui n’a pas à son actif plus d’insuccès ?
A tout homme qui s’intéresse au mouvement social et surtout à celui qui y prend part, il est impossible de fermer les yeux à l’évidence.

Le mouvement ouvrier existe. Les manifestations de grève généralisée à caractère strictement prolétarien en sont les produits naturels. En nier l’importance et la signification serait inexplicable de la part de citoyens dont l’unique préoccupation doit être, non pas de vouloir créer les événements selon leurs idées établies, mais de les interpréter pour tirer d’eux le maximum d’avantages pour les travailleurs.
Tous ceux qui n’obéissent pas à cette règle ne sauraient prétendre jouer un rôle dans le monde ouvrier, car celui-ci passerait au-dessus d’eux. Son ascension logique vers des conditions meilleures de vie, se poursuivrait sans se soucier de leurs gestes désespérés.