La CGT contre la guerre et la IIe Internationale
René Berthier
Article mis en ligne le 16 mai 2017
dernière modification le 18 septembre 2021

par Eric Vilain

Il était évident à tout le monde que la guerre franco-prussienne de 1870-1871 allait être suivie d’une autre guerre. De nombreuses occasions de conflits éclatèrent entre la France et l’Allemagne, qui auraient pu à chaque fois tourner au tragique. La question de l’action à mener en cas de conflit parcourait l’ensemble du mouvement ouvrier européen. Il n’est pas exagéré de dire que les deux protagonistes de ce débat étaient la 2e Internationale d’une part, la CGT française de l’autre, étant entendu que la social-démocratie allemande était en fait le seul réel interlocuteur de la CGT.
La mythologie créée autour de la 2e Internationale attribue à celle-ci la fonction d’opposer une vigoureuse action à toute tentative de déclencher un conflit. On a donc qualifié de « trahison » l’incapacité de l’Internationale à réaliser cet objectif. Un examen des faits montre en réalité que la social-démocrate allemande n’avait jamais eu l’intention de s’opposer à la guerre. Le simple constat que les socialistes allemands aient systématiquement refusé d’envisager une grève générale, comme le proposait avec insistance la CGT française, suffirait à confirmer cette hypothèse, si d’autres faits ne venaient encore l’appuyer, comme le vote par le parti social-démocrate allemand, en 1913, d’un crédit de guerre colossal alors même que des meetings se déroulaient en France avec des socialistes allemands jurant qu’il n’y aurait pas de guerre.

La CGT contre la guerre et la IIe Internationale

Il était évident à tout le monde que la guerre franco-prussienne de 1870-1871 allait être suivie d’une autre guerre. De nombreuses occasions de conflits éclatèrent entre la France et l’Allemagne, qui auraient pu à chaque fois tourner au tragique. La question de l’action à mener en cas de conflit parcourait l’ensemble du mouvement ouvrier européen. Il n’est pas exagéré de dire que les deux protagonistes de ce débat étaient la 2e Internationale d’une part, la CGT française de l’autre, étant entendu que la social-démocratie allemande était en fait le seul réel interlocuteur de la CGT.
La mythologie créée autour de la 2e Internationale attribue à celle-ci la fonction d’opposer une vigoureuse action à toute tentative de déclencher un conflit. On a donc qualifié de « trahison » l’incapacité de l’Internationale à réaliser cet objectif. Un examen des faits montre en réalité que la social-démocrate allemande n’avait jamais eu l’intention de s’opposer à la guerre  [1]. Le simple constat que les socialistes allemands aient systématiquement refusé d’envisager une grève générale, comme le proposait avec insistance la CGT française, suffirait à confirmer cette hypothèse, si d’autres faits ne venaient encore l’appuyer, comme le vote par le parti social-démocrate allemand, en 1913, d’un crédit de guerre colossal alors même que des meetings se déroulaient en France avec des socialistes allemands jurant qu’il n’y aurait pas de guerre.

La question de la grève générale en cas de guerre avait été soulevée par le mouvement ouvrier en France, avant même la fondation de la CGT. En 1893 eut lieu à Paris un congrès convoqué par les Bourses du travail, qui rassembla, on peut le dire, les délégués de tout le mouvement ouvrier français : la liste des organisations participantes tient huit pages dans le compte rendu qui en fut fait. Le congrès adopta l’idée de grève générale à l’unanimité moins une voix. Encore que le porteur de cette voix discordante crut bon de préciser qu’il avait le mandant de voter ainsi, mais qu’il se ferait fort de convaincre ses mandants qu’ils avaient eu tort.

Avant la Première Guerre mondiale, la CGT s’était montrée très active sur les questions internationales, elle fit aux organisations allemandes de nombreuses propositions de discussion pour parvenir à une action concertée en cas de guerre entre les deux pays. Toutes ses propositions se heurtèrent à un refus, souvent méprisant, de la part des dirigeants social-démocrates allemands.

Sous l’impulsion de la CGT eurent lieu des conférences syndicales internationales qui devaient annoncer la constitution d’une internationale syndicale. Les 17 et 18 décembre 1900 se tint à la Bourse du Travail de Paris un congrès international réunissant des délégués d’organisations ouvrières françaises, anglaises, italiennes, suédoises. Les délégués français proposèrent de créer un secrétariat international du travail, en vue d’amorcer une Internationale des Travailleurs. Une première conférence syndicale internationale se tint à Copenhague le 21 aout 1901 : Legien, le président de la centrale syndicale allemande, chercha à restreindre le rôle des conférences internationales car, selon lui, pour soulever les questions générales il y avait les congrès socialistes internationaux – entendre : les congrès des partis socialistes, point de vue totalement contraire à celui des syndicalistes révolutionnaires français.

Dès le début, donc, des oppositions apparurent entre Français et Allemands. A la seconde conférence, qui se tint à Stuttgart en 1902, les syndicalistes des deux pays s’affrontèrent sur la question de la nature de l’organisation qui était en construction. La CGT entendait discuter de questions aussi bien pratiques que théoriques, tandis que les syndicats allemands refusaient d’adhérer à une Internationale qui, dans les faits, aurait concurrencé l’Internationale des partis socialistes. Le point de vue allemand finit par dominer : les réunions syndicales internationales ne seront pas des congrès mais de simples conférences entre secrétaires des centrales syndicales. Cette structure, dont le siège fut fixé à Berlin en 1903, n’avait pour fonction que de servir de liaison entre les organisations syndicales des différents pays, de permettre l’échange d’informations et de publications, de préparer une statistique syndicale uniforme et de résoudre les questions de solidarité en cas de conflit du travail. Seuls deux délégués demandent que se tiennent des congrès ouvriers internationaux : Victor Griffuelhes pour la France et Van Erkel pour la Hollande.

A Dublin en 1903, ce fut Legien, un des dirigeants syndicalistes le plus à droite du mouvement ouvrier allemand, qui devint secrétaire international. Son mandat était d’empêcher à tout prix que l’Internationale syndicale n’empiète sur les prérogatives politiques de l’Internationale socialiste. Griffuelhes, secrétaire général de la CGT, se vit interdire de défendre le point de vue des syndicalistes français !!!

En vue de préparer la conférence suivante, qui devait se tenir à Amsterdam en 1905, la CGT demanda au Secrétariat international d’inscrire à l’ordre du jour les trois questions de la journée de huit heures, de l’antimilitarisme et de la grève générale. Les délégations autrichienne, belge et néerlandaise, membres du Secrétariat, soutinrent la proposition française, mais la majorité refusa. L’inscription de ces trois questions était la condition de la participation de la CGT. « Nous n’avons pas la prétention de demander qu’on accepte les propositions que nous pouvons faire ; il suffit qu’on veuille nous entendre. Libre ensuite à chacun de donner aux idées émises et discutées, la suite jugée bonne. » [2]

Mais précisément, les social-démocrates allemands ne voulaient même pas que ces questions soient discutées. Legien répondit qu’elles sortaient du cadre de la conférence. La CGT française refusa donc d’être représentée à la conférence d’Amsterdam, laquelle confirma la position de Legien et vota une résolution : « Sont exclues des discussions toutes les questions théoriques et toutes celles qui ont trait aux tendances et à la tactique du mouvement syndical dans les différents pays. » Ces questions relevaient des seuls partis politiques. La Hollande, la Belgique et l’Autriche votèrent contre la résolution.

Lors du congrès de la CGT tenu à Amiens en 1906, l’attitude des délégués français fut en revanche approuvée : le congrès vota à une très large majorité (815 contre 106) la suspension des cotisations au secrétariat international. Pour les syndicalistes français, la position du secrétariat international ôtait à l’Internationale sa véritable signification. Le congrès d’Amiens envisagea même d’entrer directement en relations avec les organisations syndicales en court-circuitant le secrétariat international. Le secrétaire des syndicats allemands, Legien, s’y refusa, et ce refus réitéré amena le bureau de la CGT à suspendre ses rapports avec le bureau international.

L’idée que des organisations membres se voient interdire d’entrer en relation directement, sans passer par l’instance supérieure – en l’occurrence la direction de l’organisation – était une pratique établie dans les organisations dominées par le marxisme, où le principe du centralisme était fermement établi. Ces pratiques étaient communes à l’ensemble des courants de la social-démocratie, y compris plus tard les bolcheviks. Il en sera de même plus tard au sein de l’Internationale communiste. Que la CGT, quant à elle, ait pu envisager l’établissement de relations « horizontales » n’est pas surprenant puisque ses références, à cette époque, étaient plutôt libertaires et fondées sur le fédéralisme, qui inclut à la fois des relations verticales et des relations horizontales  [3]. C’était là, aux yeux des dirigeants social-démocrates allemands, une preuve de plus de l’« anarchisme » de la CGT.

Griffuelhes constate que « le syndicalisme allemand, qui a le siège du Bureau syndical international, et, à sa suite, les autres pays, ont de l’action syndicale une conception qui, en toute logique, fait des organisations ouvrières les vassales des partis politiques ». On retrouvera encore cette question dans les débats autour de l’Internationale communiste et de l’Internationale syndicale rouge. La formulation de la phrase de Griffuelhes est intéressante : le syndicalisme allemand y est expressément désigné comme celui qui définit la ligne que doit suivre l’Internationale syndicale. Griffuelhes précise : « Le syndicalisme français, au contraire, sans s’opposer aux partis, qu’il n’a pas à connaître, attache à l’action syndicale une prépondérance incontestable. » Le dirigeant français constate avec une certaine ironie : « la totalité des comités syndicaux centraux des autres pays refusant la discussion, alors que le seul pays possédant une mentalité différente la recherche ! »

« La France syndicale n’a jamais songé à contester aux partis politiques le droit de se réunir internationalement, mais elle affirme le droit pour la classe ouvrière d’avoir à son tour, et en pleine indépendance, des rapports internationaux. En affirmant ce droit, elle n’entend pas imposer aux organismes syndicaux des autres pays la participation à un Congrès syndical international ; elle n’entend pas non plus leur interdire la participation aux Congrès politiques. Elle dit, imitant l’Allemagne, qu’elle ne prendra pas part à des conférences dont l’utilité, après celles qui ont été tenues, apparaît fort contestable, et elle se refuse à reconnaître la légitimité d’une résolution allemande qui interdit à tout jamais des discussions appartenant essentiellement au domaine syndical, et qui proclame que seuls ont le droit de les aborder et de les résoudre des Congrès politiques auxquels la France syndicale ne veut pas participer.
« Et si l’on tient compte que la résolution allemande a été motivée, comme l’a dit un délégué, par l’attitude de la France syndicaliste, il en faut déduire qu’un des buts des conférences est de donner aux Congrès politiques le relief et l’autorité qui leur assureront la prépondérance sur les Congrès syndicaux et d’amener la France ouvrière au respect de leurs résolutions  [4]. »

Les 15-16 septembre 1907 devait se tenir à Christiania (Norvège) la 5e conférence internationale. Le comité confédéral de la CGT adressa aux représentations participantes une circulaire (28 août 1907), signée par Griffuelhes, expliquant les positions des syndicalistes français.

« La C.G.T. ne saurait, en effet, admettre, en dehors d’un refus formel opposé à la demande d’inscription d’une question ouvrière, qu’une Conférence limite par une résolution le champ d’activité des futures Conférences. Elle estime que poser une barrière à toute discussion, c’est rendre les conférences peu intéressantes, sinon inutiles  [5]. »

La résolution d’Amsterdam fut cependant confirmée lors de la conférence de Christiania :

« La Conférence considère les questions de l’antimilitarisme et de la grève générale comme des objets qui ne relèvent pas de la compétence des fonctionnaires [sic] syndicaux, mais dont la solution incombe exclusivement à la représentation intégrale du prolétariat international, aux Congrès socialistes internationaux convoqués périodiquement – d’autant plus que les deux questions ont été résolues à Amsterdam et à Stuttgart, conformément aux circonstances ;
« La Conférence regrette que la Confédération n’ait pas voulu comprendre que l’attitude de la Conférence internationale des représentants des centrales nationales a été parfaitement correcte ; qu’elle ait prétexté de cette attitude pour rester étrangère à notre organisation internationale ;
« La Conférence prie instamment la classe ouvrière de France d’examiner ces questions susdites de concert avec l’organisation politique et ouvrière de son propre pays, et, par une adhésion aux congrès socialistes internationaux, de collaborer à la solution de ces questions, et, dans la suite, de s’affilier à l’organisation syndicale internationale, dans le but de résoudre les problèmes syndicaux  [6]. »

Cela équivalait dans les faits à dire que ces questions ne devaient pas être réglées par la classe ouvrière organisée, ce qu’exprima très clairement Griffuelhes lorsqu’il déclara que les syndicalistes français n’acceptaient pas que les questions posées par la classe ouvrière soient « résolues par ces assemblées de médecins, d’avocats, de rentiers, de propriétaires, de commerçants, etc..., que sont les Congrès politiques internationaux ! »  [7].

La conférence d’Oslo, en 1907, décida un compromis. Une résolution admettait l’indépendance des syndicats, mais soulignait en même temps la nécessité des relations entre partis et syndicats. A ce titre, la CGT, qui se voyait interdire d’aborder des questions de politique générale dans les congrès syndicaux, fut invitée à discuter de ces questions avec le parti socialiste en France, et dans les congrès socialistes internationaux : la CGT refusa et suspendit de nouveau ses relations avec le secrétariat international. Elle se trouvait complètement isolée sur le plan international.

A partir de 1909, la CGT traversa une grave crise ; une crise dont le congrès d’Amiens, en 1906, avait été le premier symptôme. La charte d’Amiens en effet, loin d’être le document fondateur du syndicalisme révolutionnaire, est un texte de compromis avec les socialistes parlementaires opposés au guesdisme et marque le début du déclin du syndicalisme révolutionnaire. Les adversaires du syndicalisme révolutionnaire ne s’y sont pas trompés à l’époque, qui déclarèrent que les anarchistes avaient consenti à se mettre une « muselière » (Victor Renard) : la charte ne contient rien sur l’antimilitarisme ni sur la lutte contre l’Etat.

Le syndicalisme révolutionnaire entamait son déclin face à la montée des réformistes dont le nombre de mandats dans l’organisation augmentait régulièrement tandis que ceux des révolutionnaires stagnaient ou régressaient. Les réformistes réclamaient à cor et à cri le retour de la CGT au Secrétariat international : au congrès de Marseille (1908) ils évoquèrent même une possible scission – éventualité qu’il n’était pas question d’accepter tant le mythe de l’unité était grand dans la classe ouvrière française. C’est donc en faisant des concessions à la tendance réformiste que la CGT réintégra les réunions du Secrétariat international : la question de la grève générale et celle de l’antimilitarisme furent abandonnées. La direction changea de tactique, en essayant de ne pas abandonner ses objectifs.

C’est ainsi que les délégués cégétistes qui assistèrent à la conférence de Paris en 1909 proposèrent de transformer les réunions du Secrétariat international, lors desquelles se rencontraient quelques délégués sélectionnés, en congrès syndicaux dans lesquels les syndicalistes pourraient aborder les questions pratiques du mouvement ouvrier organisé, mais aussi les questions plus vastes interdites dans les rencontres du Secrétariat international. Léon Jouhaux, tout récemment élu secrétaire général, défendit le projet de la CGT : « La proposition d’aujourd’hui, déclara-t-il, est la conclusion logique de toute notre action antérieure. Nous voulons que les résolutions soient prises non par des fonctionnaires mais par les organisations elles-mêmes  [8]. »

Selon Legien, l’organisation de congrès aurait été néfaste pour l’unité internationale du mouvement syndical : lors des conférences on discute de choses souvent délicates qu’il ne convient pas d’aborder devant de nombreuses personnes. « Pour constituer le syndicalisme en un bloc compact, le seul instrument possible, ce sont les Conférences, et non des Congrès », dit encore Legien, qui en profite pour accuser les organisations françaises de manquer de cohérence et d’unité. « Ayez d’abord des organisations solides et cohérentes, et des congrès pourront faire du travail pratique  [9]. »

Plus loin, Legien ajouta : « …il est plus facile, comme les délégués français l’ont fait, de rédiger des statuts sur le papier que de faire marcher une organisation  [10]. » Cela donne une idée du ton qui régnait dans les échanges entre la direction du Secrétariat international et les syndicalistes révolutionnaires de la CGT. « Le secrétariat utilisa ses conférences et ses rapports annuels à lancer des accusations contre eux, une pratique condamnée par Jouhaux à la conférence de 1906 », écrit Wayne Thorpe  [11].

Les syndicalistes révolutionnaires français étaient manifestement perçus par leurs homologues allemands comme des braillards ne passant jamais aux actes. Yvetot répondit vigoureusement aux propos de Legien, notamment contre le prétendu manque d’« esprit de sacrifice » des ouvriers français. Yvetot et Jouhaux se livrèrent à une attaque en règle contre les « fonctionnaires syndicaux ». Le premier résuma parfaitement la position de Legien et celle de l’ensemble des réformistes : « Vous craignez que ces congrès internationaux nuisent aux congrès socialistes internationaux, vous avez eu la franchise de le déclarer, mais nous n’avons pas, nous, cette préoccupation. » Comme il fallait s’y attendre, la conférence de Paris rejeta la proposition de la CGT, comme le fera la conférence de Budapest en 1911.

L’image que le Secrétariat international donnait auprès de très nombreux militants français était celle d’une organisation assujettie à la IIe Internationale. Cette image était renforcée par le fait que seule une organisation par pays était admise, ce qui écartait d’emblée les organisations syndicalistes révolutionnaires nationales qui étaient minoritaires – sans parler des groupes syndicalistes révolutionnaires minoritaires à l’intérieur des organisations réformistes nationales. Le NAS hollandais  [12] une fois qu’il se fut retiré, la CGT restait la seule organisation révolutionnaire adhérente au Secrétariat international.

En 1912 encore, appelés par la CGT à organiser dans chaque pays une manifestation simultanée contre la guerre, les syndicats allemands et autrichiens se dérobèrent sous prétexte qu’une telle manifestation, de caractère politique, était du ressort du parti et non des syndicats : argument qu’ils utilisèrent régulièrement pour éviter tout débat de fond sur ces questions. Incontestablement, les obstacles rencontrés ne purent que renforcer la CGT dans l’idée que rien ne pouvait venir des partis socialistes et surtout du Parti social-démocrate allemand.

La CGT française fut la seule à organiser une grève générale alors que le contexte international était extrêmement tendu. Au cours de l’été 1911, l’Allemagne avait « fait valoir ses droits » au Maroc et réclamait sa part de conquêtes coloniales. En septembre 1911, l’Italie déclara la guerre à Constantinople et s’empara de la Tripolitaine (Lybie). La guerre éclata dans les Balkans en octobre 1912.
C’est dans ce contexte que la direction confédérale réussit à organiser une grève générale contre la guerre (initiative dont il n’y eut aucun équivalent en Allemagne). mais cette grève générale, à laquelle s’étaient farouchement opposés les réformistes, avait épuisé les réserves d’énergie de la Confédération et provoqué une répression terrible.

Monatte donne, bien des années plus tard, l’exemple, celui de Charles Delzant, un des leaders de l’anarcho-syndicalisme dans le département du Nord, secrétaire général de la fédération nationale des Verriers : « Les contacts difficiles avec les bureaucrates syndicaux allemands devaient l’amené à dire “La parole est au canon” tout au début de la guerre. » Monatte parlera également des « refus insolents que la CGT avait reçus des chefs des syndicats allemands depuis 1905 »  [13] . On a ici une des rarissimes allusions dans la littérature syndicaliste au fait que le ralliement d’un militant à l’Union sacrée ait pu résulter du ras-le-bol consécutif à l’échec des innombrables tentatives de la CGT de parvenir à un accord sur une action commune avec les syndicats allemands en cas de déclenchement de la guerre. Et cette allusion prend d’autant plus de valeur venant d’un militant qui refusa de soutenir l’Union sacrée. Il est possible que de nombreux militants, écœurés, se soient dit, à l’éclatement de la guerre : « Tant pis pour eux, le sort en est jeté. »

René Berthier