CONSTRUIRE LA RÉVOLUTION : AVEC QUI ? LA QUESTION DES "CLASSSES MOYENNES"
R.B.
Article mis en ligne le 22 mars 2020
dernière modification le 13 avril 2020

par Eric Vilain

Je pense depuis longtemps que le mouvement révolutionnaire d’une façon générale pêche par une absence d’analyse sur les couches moyennes de la population. La difficulté de définir la classe moyenne vient simplement de ce que ce n’est pas une classe, et que c’est un faux problème. Cependant, cela ne prouve pas que ce quelque chose qui correspond à l’expression « classe moyenne » n’existe pas. Le terme « classe moyenne » ne me semble pas du tout adéquat.

On a affaire à des couches sociales hétéroclites, dont une bonne partie ont des revenus modestes voire très modestes, parfois même moins élevés que ceux de certains ouvriers. De nombreux artisans, petits commerçants peinent à dégager un salaire. Sans parler des paysans. Ce n’est pas une question de salaire mais de statut social : mais expliquer à ces personnes que ce sont des « prolétaires » ne mènerait à rien. Les gens appartenant à ces « couches moyennes » ont une hantise : tomber dans le prolétariat.

L’une des raisons pour lesquelles les petits bourgeois, les petits propriétaires, les petits paysans sont si férocement attachés à leur propriété est précisément cette crainte panique de sombrer dans la classe ouvrière, dans la pauvreté. C’est une chose que Proudhon avait parfaitement comprise. Inversement, quiconque connaît la classe ouvrière sait très bien que le prolo moyen n’a qu’une envie pour ses enfants : qu’ils ne deviennent pas ouvriers. Sauf dans un cas : ce que j’appelle les « ouvriers à statut » c’est-à-dire les ouvriers très organisés syndicalement, ayant négocié des conventions collectives en béton. Les dockers, les ouvriers de la presse, qui gagnent 4 fois le salaire minimum ou plus, ne voient pas d’inconvénient à ce que leurs enfants suivent les traces de leur père. C’était en tout cas ainsi lorsque j’étais encore actif.

Le béton est peut-être devenu friable... On voit d’ailleurs dans ces catégories de vraies dynasties d’ouvriers. On est souvent docker, rotativiste ou typographe de père en fils. Les patrons transmettent leur usine — disons plutôt leurs actions — à leurs enfants ; les dockers et les ouvriers de presse transmettent (transmettaient, serait peut-être plus exact) leur métier. Cette absence d’analyse sur les « couches moyennes » est à mon avis une des causes de la faiblesse du mouvement libertaire.