Groupe des Étudiants socialistes révolutionnaires internationalistes, 1900 : Antisémitisme et sionisme

Le Groupe des Étudiants socialistes révolutionnaires internationalistes de Paris.
Éditions de l’Humanité nouvelle, 15, rue des Saint-Pères, Paris, 1900, 8 p.
Rapport présenté au Congrès ouvrier révolutionnaire international (Paris 1900) par le groupe des Étudiants socialistes révolutionnaires internationalistes de Paris.

Article mis en ligne le 19 mars 2019
dernière modification le 29 mars 2019

par Eric Vilain

Jusqu’en 1900, il y eut une véritable convergence entre l’anarchisme et le socialisme de gauche non parlementaire. Les délégations socialistes aux congrès internationaux n’étaient pas homogènes du fait que le modèle social-démocrate ne s’était pas encore définitivement fixé, ni totalement imposé. Lorsque la délégation allemande du congrès de la IIe Internationale, à Zurich, fit expulser de la salle les Indépendants de Gustav Landauer – une tendance opposée au parlementarisme –, cet acte d’intolérance suscita un véritable tollé, et cinquante délégués quittèrent la salle en solidarité. Les dissidents du congrès tinrent des réunions séparées : on y trouvait des anarchistes anglais, italiens, français, la plupart des socialistes néerlandais, des socialistes français. C’est lors de ces réunions que Domela Nieuwenhuis déclara que « la fusion de tous les éléments révolutionnaires est possible ».

Cette convergence entre anarchistes et socialistes révolutionnaires aurait dû conduire à un congrès, en 1900, et aurait dû aboutir à la formation d’une Internationale anti-autoritaire. Le congrès fut dispersé par la police, au titre des lois anti-anarchistes de 1894, et n’eut jamais lieu.
Il existait alors un Groupe des Étudiants socialistes révolutionnaires internationalistes (dont Pierre Monatte fut le dernier secrétaire) 3. Le groupe des Étudiants socialistes révolutionnaires internationalistes fut fondé en 1891 par Jules Louis Breton (faculté des lettres), Alexandre Zévaes (faculté de droit), Léon Thivier (faculté de médecine). Il s’agissait tout d’abord de contrer l’influence des associations étudiantes catholiques. En 1891, les ESRI ont 66 adhérents, dont 4 femmes. Il y a 37 Français, 11 Roumains et 11 Russes, en 1892-1892 s’ajouteront 4 Russes (femmes), 1 Polonaise et 1 Italienne. 

Le groupe se donnait pour but « l’étude et la propagande » et se fondait sur le « socialisme scientifique », c’est-à-dire « la socialisation du sol et des moyens de production ». L’une des figures du groupe était Maria Isidorovna Goldsmith, docteur es-sciences, amie de Kropotkine. Il y eut aussi Marc Pierrot, futur médecin qui collabora aux Temps nouveaux, journal de Jean Grave, et à L’Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure.

Les ESRI organisaient chaque semaine des conférences-débats puis, une fois par mois, des conférences auxquelles participèrent des personnalités socialistes telles que Allemane, Brousse, Guesde, Jaurès, Reclus, etc.

Il y eut une période de pluralisme, de 1891 à 1903, pendant laquelle socialistes et anarchistes cohabitèrent, mais assez rapidement le groupe se scinda en deux. En mai 1893 une partie des adhérents se rangent à une scission guesdiste avec Zévaès et Thiercelin pour former le Groupe des Étudiants Collectivistes (le terme « collectiviste » ayant pris à cette époque un autre sens que celui de l’époque de l’AIT). L’autre s’orientant nettement vers l’anarchisme (1893-1903).
Selon Jean Maitron le travail théorique des ESRI aurait joué un rôle décisif dans l’élaboration de la doctrine du syndicalisme révolutionnaire à une époque où de nombreux anarchistes entraient dans les syndicats. Ils développèrent des idées très en avance sur leur temps, notamment en ce qui concerne la condition de la femme.

De 1894 à leur dissolution en 1903, les ESRI publièrent 14 brochures, 7 rapports qui devaient être présentés à l’occasion du congrès ouvrier révolutionnaire international de 1900 motion.

L’une de leurs contributions était intitulée « Antisémitisme et sionisme ».
Ce texte est d’un grand intérêt car il aborde un sujet qui est encore actuel, et il montre comment des libertaires ont perçu le problème au tout début du 20e siècle. Cependant, il ne manque pas de lacunes :

• Il n’y est pas question de l’affaire Dreyfus, alors que le groupe a disposé de plusieurs années pour prendre position.
• Les ESRI nient qu’il existe un antisémitisme dans la classe ouvrière.
• Ils attribuent l’antisémitisme à des causes presque exclusivement économiques.
• Ils voient les Juifs comme une communauté religieuse, pas comme un peuple qui aurait une revendication nationale.
Etc.

La contribution des ESRI date de presque 120 ans. Il faut garder cela à l’esprit. « Antisémitisme et sionisme » reste encore relativement d’actualité par certains côtés, par sa critique du sionisme, de droite comme de gauche, mais aussi par sa description de la fonction politique de l’antisémitisme ; mais il ne constitue pas un document « opérationnel » aujourd’hui dans la mesure où le lecteur vivant postérieurement à la seconde guerre mondiale, ou postérieurement aux accords d’Oslo, ne peut pas aborder les événements avec le même regard que le militant anarchiste des tout débuts du XXe siècle.