Brésil : Débat sur le syndicalisme révolutionnaire. — Edilene Toledo et Felipe Corrêa
Commentaires sur un livre d’Edilene Toledo : "Anarchisme et Syndicalisme révolutionnaire : travailleurs et militants à São Paulo sous la Première République"
Article mis en ligne le 7 juin 2020

par Eric Vilain

Ce que décrit Edilene Toledo pour São Paulo ressemble beaucoup à la situation française à la même époque. Jusqu’à la Grande Guerre, il n’y avait pas en France d’organisation anarchiste sur le plan national, il y avait une myriade de petits groupes, sans coordination, éparpillés dans une multitude de tendances et d’activités, dont la plupart tenaient absolument à avoir sa propre publication. Tenir un journal, au Brésil comme en France, était incontestablement pour les groupes anarchistes le moyen essentiel d’apparaître, d’exister, ce que Toledo perçoit parfaitement lorsqu’elle cite un militant qui, en 1908 affirmait que « notre seule organisation possible est celle qui résulte de la publication de journaux » – un constat qui vaut tout à fait pour la France à la même époque [« nossa única organização possivel é aquela que resulta da publicação dos jornais », p. 79].

Autrement dit, seule la publication d’un journal assurait la visibilité d’un groupe. Le problème est que si chaque groupe anarchiste s’attache à avoir un journal, cela représente une dépense d’énergie (et d’argent) qui n’est pas consacrée à la construction d’une organisation globale destinée à l’action sur le terrain – sans parler des « patriotismes de groupe » que cela engendre. La même situation régnait en France, et l’acharnement de certains groupes à publier un journal – chaque journal étant sous le contrôle d’une ou d’un petit nombre d’individualités fortes – a sans doute été une des causes de l’absence d’unification du mouvement. Il n’y a pas lieu de penser que ce qui se passait au Brésil et en France ne se passait pas ailleurs.

On voit à quel point la réalité était loin d’un anarchisme confiné à l’intérieur des limites doctrinales circonscrites par Black Flame, un anarchisme en quelque sorte « orthodoxe » dont eux seuls définissent l’orthodoxie : l’anarchisme à ses débuts était très largement influencé par l’opposition à l’organisation, par l’individualisme et l’insurrectionalisme.