Sur la CGT d’Espagne
Articles et textes
Article mis en ligne le 16 décembre 2008

par René Berthier

[*Sur la CGT d’Espagne*]

1993

Près de quatorze années après la scission de la CNT unifiée de l’après-franquisme (au Ve Congrès confédéral de Madrid de 1979), s’est tenu à Madrid le XIIe Congrès de la Confederación general del trabajo, une des deux organisations qui se réfèrent outre-Pyrénées à l’anarcho-syndicalisme. La Confédération, au cours de ce congrès, en réaffirmant son orientation syndicaliste révolutionnaire et libertaire, a élaboré une réponse organique au problème actuellement posé par le pluralisme d’une partie de l’organisation. La résolution de cette question difficile, concrétisée par une modification des statuts adoptée à une importante majorité, permettra peut-être à la CGT d’Espagne de s’investir tout entière dans la mise en œuvre de la résistance à un nouveau pacte social d’austérité que le gouvernement socialiste entend faire accepter par la société espagnole avec la complaisance des Commissions ouvrières et de l’UGT.

La CGT d’Espagne est sans doute une petite organisation syndicale ; 128 syndicats la composent et elle ne regroupe, en comptant large, que de 20.000 à 25.000 adhérents — on pourra lire ci-contre le bilan chiffré de la Confédération. Petite mais néanmoins organisation de référence pour toute la gauche, insistent ses militants, en particulier parce que la CGT s’oppose avec fermeté à la politique de consensus social impulsé par le gouvernement de gauche et les deux centrales majoritaires, les Commissions ouvrières, proches du parti communiste, et l’UGT d’orientation socialiste. Si, actuellement, des militants et des sections syndicales rejoignent la CGT, venant principalement des Commissions ouvrières, c’est parce que leurs adhérents entendent s’opposer à la conclusion d’un nouveau pacte d’austérité et de régression sociale.

UN PROBLÈME D’ORGANISATION

Ce XIIe Congrès devait impérativement résoudre, sous peine de désordres internes, des problèmes d’organisation. Nous avons noté qu’une volonté commune d’aboutir animait tous les délégués. Malgré des points de vue différents, issus de plusieurs secteurs de la Confédération, les problèmes furent examinés sans affrontements.
Deux points devaient trouver une réponse organique.
En premier lieu, la CGT demeurera-t-elle une confédération de syndicats ou bien sera-t-elle, à l’avenir, une confédération de confédérations régionales ? Concrètement, lors d’un congrès de toute l’organisation, les délégués présents seront-ils porteurs d’un mandat de leur syndicat local, de base, ou d’une confédération régionale qui aura déjà tenu son propre congrès avec les syndicats de ladite région. Cette question était posée surtout par la Catalogne ; elle est la projection dans le syndicalisme confédéral des régionalismes de l’Espagne.
Nous avons noté un fonctionnement très différent des syndicats français. Dans l’Hexagone, un sujet d’une telle importance aurait exigé plusieurs jours d’un débat général. Au contraire, le processus de décision de la CGT d’Espagne commence avant la tenue du congrès lui-même. Un texte présenté par le secrétariat est envoyé dans les syndicats après avoir été amendé et adopté par le comité confédéral. Les syndicats approuvent ce document ou élaborent une nouvelle rédaction. A l’ouverture du congrès, des commissions, formées de délégués des syndicats acceptés par le congrès, examinent les diverses propositions et présentent à la séance plénière une synthèse ou des formules contradictoires sur lesquelles les délégués se déterminent. Durant cet examen, un syndicat peut encore présenter des modifications.
En conclusion de ce point, le congrès a confirmé que la CGT d’Espagne continuerait d’être une confédération de syndicats.

UN NOUVEL ÉQUILIBRE

Le second point concernait le pluralisme interne et son reflet dans les statuts.

L’orientation traditionnelle du mouvement anarcho-syndicaliste espagnol sur cette question se résume en un rejet complet de toute ingérence partidaire : il n’existait dans la CNT historique ni l’autorisation de constituer des tendances organiques — comme, par exemple, dans la défunte FEN française —, comprises comme une pénétration des partis politiques dans le syndicat, ni la possibilité pour les adhérents des partis politiques de postuler aux responsabilités syndicales, du syndicat à la confédération. Rappelons que l’anarcho-syndicalisme espagnol repousse l’idée, qui a présidé à la constitution de la CGT française, de syndicalisme neutre et unitaire. Il affirme une finalité, le communisme libertaire, et une opposition résolue aux partis politiques.

Aujourd’hui, au sein de la CGT espagnole, les militants ont souhaité que ce problème soit de nouveau examiné. Leur argumentation repose sur le fait que, depuis quelque temps, dans des régions, des membres de partis politiques de gauche adhèrent à la Confédération. Ils entrent dans l’organisation syndicale en tant que travailleurs, pour défendre leurs conditions de vie et de travail par l’action syndicale ; ils ont choisi la CGT parce qu’elle proclame que cette action syndicale doit être indépendante et dirigée par les travailleurs eux-mêmes, grâce à la démocratie et au fédéralisme internes.

La nécessité de constituer une organisation importante pour peser sur les événements et lutter avec suffisamment de force s’impose, insistent les camarades de la CGT, libertaires pour la plupart, qui appuient cette orientation. La CGT ne peut, soutiennent-ils, continuer à repousser des travailleurs, des militants qui souhaitent s’organiser avec nous, sur nos bases. Une dynamique de développement du mouvement anarcho-syndicaliste serait la meilleure preuve que le syndicalisme peut réellement constituer une réponse alternative aux problèmes posés aux travailleurs — ce dynamisme montrerait à tous, quelles que soient les idéologies d’origine, l’inutilité des organisations à base politique plus que toutes les interdictions sectaires.

Ce point de vue s’exprime en Catalogne, où il représente environ les trois quarts de l’organisation ; les syndicats de Catalogne réunissent quant à eux un tiers des adhérents de la CGT.

Si cette réalité doit être prise en compte, répondent d’autres camarades, il importe de repousser tout angélisme et de protéger la Confédération contre l’entrisme et l’écartèlement en tendances hostiles et concurrentes, parce que dirigées par des centres politiques extérieurs. Sans doute, ces derniers camarades n’ont-ils pas oublié la phrase célèbre du parti communiste français des années trente : « Nous entrerons dans le CGT comme une pointe d’acier dans une motte de beurre ! »

Après trois jours de débats et de réflexions, la commission a proposé un nouveau mode opératoire, accompagné d’une nouvelle rédaction des statuts, qui a recueilli l’approbation du congrès.

1. Les tendances organisées ne seront pas reconnues par la Confédération. En revanche, le congrès propose aux syndicats, aux fédérations locales de syndicats, aux fédérations « comarcales » et aux « regionales » d’examiner la possibilité que soient représentées, dans les comités correspondants, la minorité, si elle recueille un tiers des mandats sur ses positions. Chacune des structures concernées devra se déterminer sur cette question. Enfin, cette nouvelle pratique organique ne s’appliquera pas au niveau national.
2. La Confédération conserve son orientation anarcho-syndicaliste s’agissant des partis et des élections politiques. Est renouvelée également l’impossibilité pour les dirigeants ou le personnel politiques d’exercer des responsabilités dans l’organisation ou d’utiliser le sigle du syndicat pour des actes politiques. En revanche, les membres de partis politiques, s’ils n’occupent ni fonction responsable dans leur parti ni poste électif, pourront postuler aux responsabilités internes de la Confédération, du syndicat local au comité régional. Cependant, ils ne pourront être ni secrétaires à l’organisation ni secrétaires généraux à aucun niveau ; ils ne pourront non plus être membres du comité confédéral, instance de gestion de toute l’organisation entre les congrès.

CONTRE UN NOUVEAU PACTE SOCIAL

Dès la fin du congrès, le problème statutaire ayant trouvé une solution largement majoritaire, la tâche principale des militants et des organisations de la CGT sera de tendre à unifier tous les éléments de la société civile attaqués par l’actuel projet capitaliste de restructuration. Les conditions de travail s’aggravent, les rémunérations, les ressources affectées à la santé, les retraites se réduisent et se réduiront encore. Seule une mobilisation de toute la société peut faire reculer une telle perspective. Outre-Pyrénées, le taux de chômage dépasse déjà les 25 p. 100 de la population active. Un syndicalisme de transformation sociale peut, avec l’approfondissement de ces bouleversements, poser la question de la viabilité du capitalisme et de son dépassement.
Dès avant son congrès, la CGT avait invité les centrales syndicales à se réunir afin d’examiner les possibilités d’impulser un travail syndical commun de sensibilisation de la population. Sans réponse jusqu’à aujourd’hui.

Dans les mois qui précèdent, des actions communes eurent lieu. Par exemple, avec la CNT-AIT, à Bilbao, pour le 1er Mai ; dans les postes, à Madrid ; ou chez les cheminots de Malaga ; également en soutenant les mouvements de squatters.

Ou avec les CC OO, pour mettre en œuvre une campagne contre le projet gouvernemental d’abolir l’obligation pour le patronat d’une autorisation administrative avant licenciement — initiative qui obtint le report du texte qui prévoyait cette suppression.

Les deux centrales majoritaires, affirment les militants de la CGT, s’apprêtent de nouveau à négocier avec le gouvernement un pacte social. Ce dernier, sous le fallacieux prétexte d’accroître les postes de travail en réduisant le coût de la main-d’œuvre, sera l’occasion de plus de flexibilité, de plus de mobilité professionnelle et géographique, d’une révision en baisse des contrats de travail, d’attaques contre le statut de la fonction publique. En outre, seront incluses dans les dispositions de ce nouveau pacte des dispositions anti-grève. Déjà, avec le ministre de l’Intérieur Corcuera, des tentatives d’intimidation et de répression sournoise ont été expérimentées, en restreignant les possibilités de manifester ou en frappant d’amendes les travailleurs qui occupent les entreprise en grève.

UN CONGRÈS DE RENFORCEMENT

« Aujourd’hui, répète José María Olaizola, le nouveau secrétaire général de la CGT, l’heure est au travail pratique ; la Confédération vient de se doter de nouveaux statuts qui donnent la possibilité à chaque militant de trouver sa place dans l’organisation. Les positions de la CGT sont claires : elle appelle la société tout entière à résister aux coups que le capitalisme est en train de lui porter.

« Si nous sommes suffisamment nombreux et déterminés à nous y opposer, nous pouvons faire échec à son projet de régression politique et sociale. »

Pour progresser vers cet objectif, la Confédération doit entreprendre, sur plusieurs plans, un important effort. Tout en prolongeant l’actuel effort des sections syndicales d’entreprise, il est nécessaire que les syndicats accroissent la présence de la CGT dans les localités. Certes, le travail spécialisé dans l’entreprise est indispensable. Mais une volonté constante doit animer les militants, les syndicats, les fédérations locales pour intégrer à leur réflexion la dimension de la profession, de la région et les questions générales du conflit entre le travail et le capital.

Une telle activité, si elle pouvait se développer avec une intensité suffisante, montrerait à tous les travailleurs, à tous les adhérents de la CGT, aux anciens comme à ceux qui s’affilient aujourd’hui, les différences existant entre le modèle anarcho-syndicaliste de la CGT et les autres syndicats, en particulier son caractère horizontal et non bureaucratique.

En conclusion, les militants de la CGT estiment que ce XIIe Congrès fut satisfaisant, avec des débats sans rupture ni affrontements, discrets. Un congrès de renforcement pour préparer l’avenir.

Un dernier mot. Associons-nous par la pensée aux délégués du congrès pour saluer la mémoire du grand lutteur que fut Felix Carrasquer, dont nous avons appris le décès au cours des assises, et assurer Mati Escuder, sa compagne, de toute notre solidarité. Un tel congrès eût recueilli leur approbation, eux dont toute la vie ne fut qu’un long dévouement pour le syndicalisme libertaire.

[/Jacques Toublet/]

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3 avril 96

[*ÉVOLUTION POSITIVE DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL D’ESPAGNE*]

La CGT d’Espagne s’est renforcée, au cours des derniers mois, grâce à des actions contre le chômage, le démantèlement et la privatisation des services publics. Ce sont principalement des sections des Commissions ouvrières qui intègrent la CGT. Enfin, pour la première fois depuis la scission de 1979, un échange de courriers a eu lieu entre les deux branches de l’anarchosyndicalisme espagnol.

Les derniers mois ont vu se confirmer l’évolution positive du secteur de l’anarchosyndicalisme espagnol connu aujourd’hui sous la dénomination de Confédération générale du travail d’Espagne, après s’être appelé CNT-Rénovée.

Trois éléments ont été plus particulièrement à l’origine d’un important renforcement qu’on peut chiffrer, selon José Maria Olaizola, secrétaire général de la Confédération, à environ dix mille adhésions nouvelles depuis le dernier congrès de mars 1993, portant les effectifs confédéraux à plus de 30.000 syndiqués. Ce sont l’organisation d’une marche contre le chômage et l’exclusion sociale, pour l’emploi et la solidarité en novembre et décembre derniers, une campagne confédérale de sensibilisation de l’opinion publique et des travailleurs contre le démantèlement et la privatisation des services publics et, enfin, l’orientation de plus en plus collaborationniste des Commissions ouvrières.

Contra el paro y la pobreza : contre le chômage et la pauvreté
Depuis la moitié de 1994, la CGT d’Espagne propose une Plate-Forme pour les droits sociaux, qui résume les revendications du mouvement social contre le chômage et la précarité croissante, tant sur le plan public qu’au sein du Forum alternatif contre l’Europe du Capital auquel elle participe. Ce regroupement rassemble environ une centaine d’organisations très diverses avec l’objectif commun d’informer l’opinion de la réalité sociale de la construction européenne, organisations qui vont d’Izquierda Unida, coalition électorale de gauche et d’extrême gauche dont l’élément qui pèse est le parti communiste, jusqu’à des associations luttant contre le chômage en passant par des alternatifs, des écologistes et des organisations syndicales. Les Commissions ouvrières et l’UGT ne sont pas partie prenante de ce Forum.

Tout au long de 1995, la CGT a proposé d’organiser une marche contre la pauvreté et le chômage. Les groupements composant le Forum ont tous accepté l’idée, sans qu’aucune initiative ne soit mise en œuvre. Seule l’association Baladre a soutenu concrètement la CGT lorsque l’organisation anarchosyndicaliste a pris seule la responsabilité de passer à la phase de réalisation. Notre camarade José Maria n’exclut pas l’hypothèse que les organisations réunies sous le sigle du Forum attendaient de pouvoir observer la capacité d’organisation de la CGT…
Dès septembre 1995, les syndicats de la CGT préparèrent trois cortèges — trois columnas — qui devaient se rejoindre à Madrid, en onze étapes, du 1er au 11 décembre, une première columna partant de Vitoria, une autre de Valence et la troisième de Xérès.

A chacune des étapes, plusieurs groupes ou organisations régionales se joignaient aux cortèges de la CGT — ainsi, par exemple, dans la colonne venant du nord, le syndicat basque ESK-CUIS ou, en Andalousie, le SOC (Sindicato obrero y campesino), syndicat ouvrier et paysan, implanté principalement dans les provinces de Séville et de Cadix. A propos du SOC, José Maria a tenu à démentir les rumeurs qui avaient couru en France, laissant entendre que ce syndicat, très important dans certaines localités, aurait rejoint la CGT ; en fait, l’orientation du SOC n’est nullement anarchosyndicaliste et mais plutôt travailliste puisqu’il présente des candidats aux élections politiques locales et régionales, dans la coalition Izquierda Unida, avec quelque succès puisque des maires, des conseillers municipaux et un député au Parlement andalou sont élus sous son sigle.

Environ 2.500 personnes participèrent aux marches, de tous les âges et de toutes les conditions, des chômeurs, des personnes avec un emploi, des délégués syndicaux ; de trente à quarante pour cent de la CGT se sont mobilisés autour de l’initiative qui a reçu une accueil très favorable de la population. La plate-forme de la CGT a été largement diffusée :

1. Suppression des heures supplémentaires dans toute la fonction publique ; augmentation des offres d’emplois dans les services publics ; réduction du temps de travail journalier avec embauches correspondantes ; interdiction de faire appel dans les services publics aux entreprises d’intérim ; réduction des salaires privilégiés des politiques.

2. Non à la privatisation des services publics, qui ne doivent pas fonctionner selon la loi du marché ; non à la sous-traitance dans les services publics.

3. Mise en œuvre par les pouvoirs publics d’une politique de crédit et de subventions en faveur des initiatives de créations d’entreprises coopératives et artisanales.

4. Extension du IMI (équivalent du RMI) à toutes les personnes sans ressources à partir de dix-huit ans en favorisant les contrats personnalisés d’emploi.

5. Accès gratuit pour toutes les personnes de plus de dix-huit ans sans ressources à toutes les installations sportives, sociales, culturelles, publiques ainsi qu’aux transports urbains.

6. Soins, électricité, gaz gratuits pour toutes les personnes sans ressources.

7. Constitution par les banques et les caisses d’épargne, sur leurs bénéfices, d’une réserve spécifique qui permettrait d’acquérir des logements sociaux qui seraient attribués, pour un loyer symbolique, aux personnes nécessiteuses.

8. Suspension de toutes les hypothèques et du paiement des intérêts des prêts contractés par des personnes sans ressources
9. Mise en œuvre par les institutions d’une politique de l’emploi qui réduirait le temps de travail et favoriserait les embauches sans réduction de salaire.

10. Transfert des détenus dans les lieux où ils résidaient auparavant afin de réduire au minimum les frais de transport occasionnés par les visites ; élaboration d’une politique de réinsertion sociale ; mise en liberté des détenus gravement malades.

De nombreux débats accompagnèrent les déplacements et les étapes, au cours desquels les thèmes de la plate-forme revendicative furent largement examinés ; il n’est pas sans intérêt d’insister sur ces discussions, en particulier parce que, durant les échanges du vues, les organisateurs de la CGT insistèrent sur le fait qu’il n’existait pas de solution réelle et globale contre l’exclusion sociale dans l’économie capitaliste. Un monde sans chômage serait un monde débarrassé du capitalisme.

Bien que les marches aient été quasi boycottées par la presse nationale, et assez peu citées par la presse régionale, l’arrivée des columnas à Madrid, le 11 décembre, réunit plus de trois mille personnes. Et fut le coup d’envoi de nombreuses initiatives, dont une grève de la faim du secrétaire général de la CGT et du coordinateur de Baladre, qui interpellèrent les dirigeants européens, réunis dans la capitale de l’Etat espagnol pour discuter de la monnaie unique, et le gouvernement espagnol à propos de l’accroissement du nombre de sans-travail, qui dépasse, outre-Pyrénées, les 24 pour 100 de la population active. Enfin, toujours à Madrid, le 17 décembre, 15.000 personnes, à l’appel du Forum, se réunirent contre le chômage et la pauvreté. La présence de la CGT, et celle de nombreux drapeaux noir et rouge, y fut importante… et remarquée.

Forte de ses succès, la CGT, dès le commencement de 1996, a intensifié sa campagne contre la privatisation et le démantèlement des services publics, campagne qui recueille auprès des travailleurs concernés un écho important : plus de 2.500 personnes se sont réunies, le 23 mars, à Madrid à l’appel de la seule CGT.

Graves divergences au congrès des Commissions ouvrières

L’accroissement quantitatif de la CGT espagnole est le résultat, au moins pour une part, de l’arrivée dans la Confédération de militants et de sections syndicales qui quittent les Commissions ouvrières. En effet, l’organisation syndicale dirigée par des militants du parti communiste espagnol est, depuis quelques années, le champ clos d’un affrontement de lignes entre ceux qui se dirigent vers un syndicalisme d’accompagnement et de collaboration, quelque peu en rupture avec le PCE et dirigés par le secrétaire général des Commissions, Antonio Gutierrez, et d’autres plus proches de la direction du parti, derrière Augustin Moreno. L’application par la direction des Commissions d’une orientation de conciliation s’est concrétisée depuis quelques années par la signature d’accord accroissant la précarité ainsi que la réduction des droits et des salaires…

Or le dernier congrès, tenu en janvier 1996, a réélu, contre les consignes du PCE, Antonio Gutierrez et la direction sortante, avec presque 65 pour 100 des suffrages, lui donnant ainsi mandat de continuer sur cette voie de la conciliation avec le patronat et l’Etat.

Les débats ont été particulièrement durs et acerbes. Gutierrez a justifié sa ligne en invoquant l’indépendance syndicale envers tout le monde ; il a, dans les débats intérieurs aux Commissions, accusé son rival malheureux d’avoir des contacts avec la CGT, avec le diable anarchosyndicaliste. Quant à Moreno, il a reproché à Gutierrez d’être à la solde du patronat, en argumentant notamment sur les 1.300 millions de pesetas que les Commissions ouvrières doivent à la Sécurité sociale… Puis il a affirmé que la majorité collaborationniste des Commissions se dirige vers une fusion avec l’UGT réformiste.

Déjà, seulement quelques semaines après ce congrès, les premières conséquences de ce glissement à droite se font sentir : l’UGT et les Commissions ouvrières préparent avec le syndicat patronal un accord dont l’essentiel se résume en l’imposition d’un délai de quinze jours entre une décision de grève et le commencement de l’arrêt effectif de travail, délai pendant lequel les syndicats de salariés et patronaux s’efforceront de trouver une solution au différend ; il s’agit à l’évidence d’une grave attaque contre le droit de grève. Plus dangereux encore : un accord est actuellement négocié en Catalogne qui instaurerait des réunions paritaires dont le rôle serait de déterminer, en cas de difficultés ou de modernisations dans les entreprises, les personnes qui pourraient être licenciées pour « raisons objectives ». Une telle situation ne peut que continuer à déstabiliser les Commissions et renforcer peu à peu la CGT et l’anarchosyndicalisme qui, aujourd’hui, commencent à être perçus comme un recours syndical de lutte.

Pour l’unité d’action

José Marie Olaizola et la CGT d’Espagne, en outre, s’efforcent déjà depuis quelque temps de développer l’action syndicale contre le chômage, la pauvreté et la précarité au niveau européen. La CGT espagnole sera, par exemple, présente dans les manifestations qui se réuniront, en juin, contre la tenue du G7 à Lyon ; elle souhaite que le mouvement libertaire, surmontant ses divisions, soit capable de s’y montrer uni et dynamique. Ou encore elle suit les réunions préparatoires aux marches contre le chômage qui seront organisées, en 1997, dans toute l’Europe.

Nous ne pouvons terminer ce rapide tour d’horizon sans faire référence aux courriers — dont nous publions les reproductions ci-contre — que les deux branches de l’anarchosyndicalisme espagnol se sont échangés récemment.

Formulons le vœu que, peu à peu, les blessures de l’anarchosyndicalisme espagnol, les anciennes comme les plus récentes, se cicatrisent. Pour l’intérêt des travailleurs, de la société et de l’anarchosyndicalisme en général.

[/Jacques Toublet./]

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14-01-97

[*Histoire ordinaire d’expulsion et de ses suites*]

Rencontre, à Madrid, avec le Syndicat des arts graphiques, du papier, des communications et des spectacles du 21-Avril CGT

Il y a quelques semaines alors que je rendais visite, au 15 de la calle Sagunto, à Madrid, à mon ami et camarade José María Olaizola, secrétaire de la CGT d’Espagne, ce dernier me proposa de rencontrer un groupe de syndicalistes qui venaient d’intégrer la confédération ; ce contact m’intéresserait sans doute, estimait José María, parce que ces camarades venaient d’être expulsés de la Fédération des arts graphiques des Commissions ouvrières.

On ne sait guère dans l’Hexagone que le syndicalisme espagnol, très divers et plutôt en meilleure santé que celui de ce côté-ci des Pyrénées, est entré depuis quelque temps dans une zone de turbulences dues aux incertitudes d’orientation des Commissions ouvrières.

Affrontement de lignes syndicales

Les Commissions ouvrières (CC OO), l’organisation syndicale espagnole animée surtout par des militants du parti communiste (PCE), est devenue le champ clos d’un affrontement de lignes entre ceux qui soutiennent un syndicalisme d’accompagnement et de collaboration, quelque peu en rupture avec le PCE et dirigés par le secrétaire général des Commissions, Antonio Gutierrez, et d’autres, plus proches du parti, derrière Augustin Moreno. L’application par la direction des Commissions d’une orientation de conciliation s’est concrétisée par la signature d’accords qui accroissent la précarité et réduisent les droits et des salaires…

Le plus récent congrès des CC OO, tenu en janvier 1996, a réélu, contre les consignes du PCE, Antonio Gutierrez et la direction sortante, avec presque 65 p. 100 des suffrages, leur donnant ainsi mandat de continuer sur cette voie de la conciliation.

Les débats du congrès ainsi que les discussions qui le précédèrent ont été particulièrement durs et acerbes. Gutierrez a justifié sa ligne en invoquant l’indépendance syndicale envers tout le monde, y compris le PCE ; il a, dans les débats intérieurs aux Commissions, accusé son rival malheureux d’avoir des contacts avec la CGT, avec le diable anarchosyndicaliste. Moreno, quant à lui, a reproché à Gutierrez d’être à la solde du patronat, en argumentant notamment sur les 1.300 millions de pesetas que les Commissions ouvrières devraient à la Sécurité sociale espagnole… Puis il a affirmé que la majorité collaborationniste des Commissions a programmé une fusion avec l’Union générale des travailleurs (UGT), proche des socialistes et réformiste.

A Madrid, le Syndicat des arts graphiques des CC OO s’était nettement déclaré, dans cette opposition de lignes, dès avant le congrès de 1996, comme soutenant la minorité de « gauche », c’est-à-dire pour ce qu’il estime être l’orientation originelle des Commissions ouvrières. Aussi les militants qui soutenaient cette orientation n’ont pas été trop étonnés de se voir accusés, dans les premières semaines de 1995, par la direction de la Fédération nationale des arts graphiques, de malversations diverses — fallacieux prétexte, comme il fut prouvé par la suite. Pour enfin, à onze, être déclarés exclus de la Confédération nationale des commissions ouvrières, en application de la vieille technique de nettoyage avant un congrès important.

Or l’affaire ne fut pas acceptée sans difficultés dans nombre d’entreprises ; après quelques semaines de débats houleux, plusieurs centaines d’adhérents des Commissions ouvrières décidèrent de se solidariser avec les exclus et de créer, le 21 avril 1995, un nouveau syndicat. La convocation à ce congrès fut signée par une cinquantaine de délégués des douze plus importantes entreprises du secteur industriel. On peut lire par ailleurs dans ce présent Cantonade le salut envoyé au nouveau syndicat par Marcelino Camacho, un des fondateurs des Commissions, une sorte de marque d’authenticité.

Sans doute, les camarades du nouveau syndicat, baptisé du 21-Avril, attendirent-ils les assises confédérales des Commissions de janvier 1996, avant de se déterminer de manière définitive.

Et c’est probablement en constatant l’échec de leur courant lors de ce congrès qu’ils décidèrent de se confédérer à la CGT. Peut-être est-il utile, pour ceux qui ne sont pas familiers de la situation syndicale d’outre-Pyrénées, de rappeler que cette dernière n’est autre que la branche dite « rénovée » de la Confederación nacional del trabajo (CNT), la centrale syndicale anarchosyndicaliste, qui a perdu le sigle historique après un procès que lui a intenté le secteur traditionaliste de l’anarchisme espagnol. Actuellement, la CGT d’Espagne compterait environ 35.000 syndiqués, souvent très militants, surtout dans les grosses entreprises du privé, les chemins de fer et la poste.

Un budget syndical assuré aux deux tiers par des subventions

Le 27 juin 1996, un congrès ratifia l’entrée du Syndicat du 21-Avril dans la CGT, tout en conservant sa spécificité. Avec la structure préexistante de la CGT, qui fusionna avec le nouveau syndicat, l’organisation des arts graphiques, du papier, des communications et des spectacles de la CGT représente aujourd’hui un millier d’adhérents, sur les vingt mille travailleurs qu’on peut dénombrer dans les secteurs professionnels considérés de la capitale de l’Etat espagnol. Avant son explosion, le syndicat des CC OO syndiquaient environ 3.000 membres ; il en restait, en fin 1996, moins d’un millier.

Lorsqu’on leur demande pourquoi la direction des Commissions ouvrières exclut tant de forces vives de sa confédération, les camarades du 21-Avril estiment que Gutierrez et son groupe sont décidés à expulser toutes les organisations qui contestent leur orientation. Et lorsqu’on les interroge sur les raisons d’une telle évolution, ils répondent — je n’invente rien — que, depuis 1987, le budget des Commissions ouvrières est alimenté aux deux tiers par des subventions diverses et que la direction des CC OO doit continuer à accepter des compromis sociaux avec la patronat et l’Etat pour faire vivre son appareil de permanents. L’orientation des CC OO, concluent-ils, est maintenant plus conciliatrice que celle de l’UGT.

Une dernière précision, à laquelle les camarades du 21-Avril tiennent beaucoup : le 18 novembre 1996, le tribunal de Madrid lava de toute accusation de malversations ceux que la direction de la Fédération des arts graphiques des CC OO avaient expulsés, comme on pourra le voir dans la reproduction que nous publions de leur journal, Asemblea.

Les responsables exclus souhaitaient que cette information soit publiée, en France notamment, parce qu’au cours d’un voyage à Cuba certains d’entre eux rencontrèrent des camarades de la Filpac-CGT française. Et ils ne veulent pas, avec raison, passer pour des voleurs.

On comprendra sans peine, je crois, qu’un libertaire du Syndicat des correcteurs rende ce service à des syndicalistes communistes, qui se trouvent minoritaires dans la CGT d’Espagne comme il l’est lui-même dans la CGT de France.

[/Jacques Toublet/]

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[*Interview de José María Olaizola*]

Quelques jours avant le XIIe Congrès de la CGT d’Espagne, son secrétaire répond aux questions du Monde libertaire

Les 31 janvier, 1er et 2 février prochain, la CGT d’Espagne réunit son XIIIe Congrès à Madrid. La confédération anarchosyndicaliste issue de la CNT dite « rénovée » a progressé ces derniers mois, notamment en prenant toute sa place dans la lutte des fonctionnaires et contre les tentatives du gouvernement d’accroître la précarité des conditions de travail. José María Olaizola, le secrétaire confédéral sortant, donne son opinion sur le développement actuel de l’organisation.

Le Monde libertaire. — Comment es-tu entré dans le mouvement anarchosyndicaliste ?

J M Olaizola. — En 1976, je me suis rapproché de la CNT en reconstruction alors que je travaillais à la mairie de San Sebastian. Il y avait peu de tradition libertaire en Guipuzcoa et j’avais milité auparavant dans divers mouvements antifranquistes.

Le M L. — Peux-tu nous parler des luttes de cette période et de ton activité personnelle ?

J M O. — J’ai beaucoup milité à Vitoria, notamment avec les copains de Michelin. La direction du trust voulait briser la résistance à l’intérieur de l’usine ; à cet effet, elle tenta d’imposer un système de rotation des postés en quatre équipes, ce à quoi la CNT de l’entreprise s’opposa. Une lutte extrêmement dure s’ensuivit, durant plusieurs mois, au cours de laquelle, outre les mouvements de grève et les manifestations, des violences furent exercées contre les jaunes et la direction ; des coups de feu furent tirés contre le chef du personnel, par exemple. Nous eûmes à subir la répression de la police. Des camarades furent arrêtés mais jamais rien ne put être prouvé. Et la lutte fut gagnée : la direction abandonna son projet.

A cette époque, j’étais, dans mon militantisme concret, plus proche des groupes d’action libertaires que du mouvement syndical proprement dit. Et j’ai dû partir pour l’Andalousie puis passer quelques années en France, de 1984 à 1988.

Le M L. — Pourquoi, après le Ve Congrès, as-tu choisi la CNT-Rénovée ?

J M O. — Sans aucun doute, l’inclination très anarchiste de la CNT d’Euzkadi aurait pu lui faire choisir le secteur dit « historique » ; pour ce qui me concerne également, mon activité dans les groupes d’action aurait pu me conduire à penser que la participation aux élections syndicales était contraire à l’anarchosyndicalisme, puisque c’est sur cette question que s’est opéré le clivage entre les deux tendances. Mais la lutte de Michelin et l’histoire de sa section syndicale ont pesé très lourd dans notre décision.

Lorsque les camarades de Michelin sont entrés à la CNT, venant des Commissions ouvrières, ils furent observés d’abord avec beaucoup de méfiance. Puis, peu à peu, par la solidarité dans la lutte, quand nous connûmes mieux leur pratique syndicale, très radicale, toute l’organisation les accepta sans réserve. Et la radicalité de cette pratique s’accompagnait d’une présence dans le comité d’entreprise. Ils n’en cachaient d’ailleurs nullement les dangers et essayaient de s’en prévenir de diverses manières. Mais ils ajoutaient, en matière d’avertissement pour toute la Confédération : Se présenter aux élections syndicales comporte un risque, qu’il faut contrôler en instituant des garanties contre les dérives possibles ; en revanche, ne pas s’y présenter recèle le danger, infiniment plus grave, de marginaliser la CNT dans les entreprises.

La connaissance intime que j’avais de leur activité syndicale m’a convaincu que se présenter aux élections syndicales n’impliquait pas automatiquement la collaboration de classes ; il ne s’agissait que d’une tactique permettant de constituer une section syndicale d’entreprise.

Le M L. — Quelle est la situation actuelle de la CGT ? Ses effectifs, son implantation régionale et professionnelle ?

J M O. — Après la scission, beaucoup de camarades ont abandonné le militantisme syndical, et la CNT-Rénovée, lorsque les structures ont commencé à se stabiliser, regroupait environ un millier de personnes. La progression a été longue et difficile. Et la perte du sigle historique a été un coup très dur.

Aujourd’hui, la CNT-Rénovée, devenue la CGT, réunit sans doute 35.000 adhérents, mais nous en saurons plus dans quelques semaines lorsque la trésorerie confédérale fournira les comptes complets lors du congrès prochain. Son implantation se concentre dans les grosses entreprises, surtout l’automobile, les chemins de fer, les services mais aussi dans la santé, l’enseignement, la poste. S’agissant de ses organisations locales, les confédérations régionales les plus importantes, par ordre décroissant, sont la Catalogne, l’Andalousie, le Pays valencien, Madrid, Castille-Léon et le Pays basque.

Quelques résultats électoraux sont significatifs de cette situation nouvelle. Nous sommes majoritaires dans le personnel communal de la mairie de Xérès et fortement implantés à Cordoue. Nous avons obtenu 10 % des voix à la Renfe. Nous avons deux délégués au comité central de Renault, sept à l’établissement de Palencia, sept à Valladolid. Chez Seat, nous avons obtenu 10 % des voix et seize délégués. Chez Ford, à Valence, un peu plus de 10 % et cinq délégués ; nous sommes majoritaires chez Cristal, une entreprise du verre, en Catalogne ; enfin, dans les Télécom, nous avons réussi à monter notre score sur le plan national à 10 % des voix, avec un délégué, et gagné quelques majorités locales, comme à Saragosse et à Valence.

Le M L. — Depuis déjà quelque temps, circule en France une rumeur, sans qu’on puisse d’ailleurs en localiser l’origine, qui prétend que la CGT d’Espagne possède en son sein des syndicats de policiers ; qu’en est-il en fait ?

J M O. — Il n’y a pas de syndicats de policiers dans la CGT d’Espagne ; ceux qui prétendent qu’il en existe peuvent venir vérifier sur place, tant au comité confédéral que dans les confédérations régionales : gageons qu’ils ne trouveront rien. Il ne peut pas y avoir de structures syndicales pour ces gens-là chez nous, les statuts confédéraux nous l’interdisent, en particulier l’art. 28, que je te traduis : « Ne pourront adhérer à la CGT ni les membres des forces publiques de l’ordre, ni ceux de l’armée professionnelle, ni ceux des corps armés répressifs ». Pourrais-je ajouter que la presse libertaire ne peut être une sorte de poubelle dans laquelle on trouve n’importe quel mensonge ou calomnie, au nom de la liberté ? La liberté, c’est autre chose.

La presse libertaire doit être un moyen d’information qui formule diverses propositions afin d’avancer vers la solution des problèmes, de réveiller les consciences et de donner les éléments du débat. Avant de publier des accusations, il importe d’en vérifier l’authenticité, sinon on peut tomber dans le n’importe quoi, les dénonciations haineuses et la désinformation.

Le M L. — Pour quelle raison la CGT s’est-elle autant impliquée dans la préparation de la marche européenne contre le chômage et la précarité ?

J M O. — Le chômage est un des plus graves fléaux de la société actuelle, avec tout ce qu’il engendre d’exclusion et de précarité sociales. L’application sans cesse plus radicale des critères de Maastricht va dégrader toujours plus la situation du travail et cela non seulement dans un secteur, un atelier, une profession, un pays mais partout. Notre riposte, en conséquence, et tenant compte du rapport de forces actuel, doit mobiliser l’opinion publique le plus largement possible afin de dénoncer cet état de choses et appeler à se rassembler pour le combattre.

Nous pensons que cette mobilisation, ce genre de marche et de démonstration doivent être très pluralistes. Comme êtres humains, nous avons une responsabilité à assumer au-delà des différences organisationnelles.

[/Propos recueillis par J. Toublet/]

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[*Texte José Maria Olaizola*]

Trois millions et demi de chômeurs reconnus. Beaucoup plus si on comptabilisait tous ceux ou celles qui souhaiteraient obtenir un emploi. Comme ces femmes au foyer qui n’ont travaillé que durant leur jeunesse et qui, aujourd’hui, recherchent un poste de travail pour aider leur famille appauvrie.

Plus de cinquante pour cent des chômeurs ne reçoivent aucun subside. Près d’un million de familles dans lesquelles aucune personne ne travaille. Réduction des indemnités de chômage et allongement de la période de référence ouvrant droit à leur versement. Obligation pour les chômeurs de payer l’impôt sur le revenu. Augmentation des impôts indirects — c’est-à-dire ceux qui sont payés par tous les consommateurs, riches comme pauvres — et diminution des impôts directs, plus particulièrement ceux dus au titre des profits des entreprises et des grands patrimoines.

Réduction des dépenses relatives à l’enseignement, à la santé, aux aides sociales qui, si elle touche tous les citoyens, pèse surtout sur les plus pauvres et les chômeurs, dont le niveau de vie a été fortement réduit dans le même temps où ils ont été contraints à subir encore plus d’injustice sociale. Cette dégradation des conditions de vie provoque des drames individuels et collectifs auxquels les mouvements politiques et sociaux, quelle que soit leur orientation, n’ont apporté aucune réponse.

Ce monde du chômage, de l’exclusion sociale, de la marginalité imposée se concentre dans les quartiers populaires ou les cités.

Dans ces quartiers populaires, dans ces cités des banlieues des grandes métropoles, ceux qui sont sans emploi s’étouffent en ressassant leur frustration. C’est dans ces quartiers que les dettes s’accumulent ; c’est dans ces cités qu’on expulse.

C’est là que les enfants des familles ouvrières ne peuvent, faute de travail, développer leur personnalité et s’assumer en tant qu’adultes. C’est là encore que les parents observent, le plus souvent impuissants, la chute de leurs enfants vers la drogue, la délinquance et la violence, encouragés dans cette voie funeste par l’idéologie de l’abêtissement véhiculée par la télévision.

C’est dans ces quartiers et ces cités que nous devons initier un mouvement qui dénoncera les intentions du pouvoir de perpétuer cette situation et qui amorcera la résistance.

A la mi-juin 1997, à Amsterdam, se tiendra la Conférence intergouvernementale au sein de laquelle se discute l’avenir des citoyens européens. Dans ce cénacle, les représentants du grand capital européen — qui ne sont aucunement ceux des peuples — consolideront, sans aucun scrupule de conscience, l’orientation néolibérale de l’économie et de la politique, qui se traduit par de si terribles conséquences pour les travailleurs : chômage, salaire toujours plus bas, disponibilité totale de la main-d’œuvre aux changements d’horaires et de conditions de travail décidés par le patronat, précarité des contrats de travail, restriction dans les prestations sociales toujours présentées comme une aumône de l’Etat, exclusion et pauvreté et, plus généralement, alignement sur les intérêts financiers de ce qui est présenté comme la justice et la démocratie.

Pour dénoncer ce fallacieux discours du capitalisme européen et offrir une alternative démocratique et de justice, qui prendrait sa base sur la solidarité et la juste répartition des richesses créées par l’effort de la société tout entière, des organisations syndicales ou associatives, des groupes et des personnes, à titre individuel, préparent des marches contre le chômage, la précarité et l’exclusion qui commenceront en Espagne le 14 avril et arriveront à Amsterdam, le 15 juin. Tout au long du parcours seront organisées de multiples initiatives : rassemblements, conférences et débats… dont le thème sera la recherche de solutions concrètes et justes.

A Madrid, un groupe de travail a été constitué dont l’objectif est la préparation de l’information la plus large ; à cet effet, dans tous les quartiers où cela sera possible, nous appellerons à des rassemblements pour que les marcheurs soient reçus le mieux possible dans notre ville. Et qu’ils obtiennent l’appui populaire pour leur effort et recueillent les fonds nécessaires au bon fonctionnement de l’initiative. Nous préparerons également des conférences et des débats au cours desquels seront examinées les raisons de ces nécessaires mobilisations. Nous appelons toutes les associations de voisins et la population de Madrid à se joindre à ces rassemblements et à participer activement à l’organisation de la marche. Seule une réelle prise en charge par la population des revendications que nous défendons, et qui permettraient de faire réellement reculer la précarité, la misère et le mal de vivre, pourra obliger l’Etat à tenir compte de nos exigences.

Appel aux chômeurs

Dans l’Etat espagnol, il y a 3,5 millions de chômeurs reconnus. Presque un million de foyers où aucun des membres ne travaille. Un tiers environ des travailleurs — 3,3 millions — ont un emploi précaire, de telle sorte que les 8,5 millions de contrats signés en 1996 (chiffre apparemment élevé qui permit au gouvernement Aznar de se pavaner dans les médias) n’ont fourni un emploi qu’à 166.000 personnes. Et 99,6 % de ces contrats avaient une durée inférieure à un an ; 70 % d’entre eux portaient sur moins de trois mois et, sur ces 70 %, la moitié environ prévoyait un travail d’un seul mois.

Le chômage et la précarité de l’emploi sont le résultat d’un changement profond de la façon de produire les biens et les services nécessaires à notre vie. Le mode antérieur se caractérisait par l’utilisation massive de travailleurs. Avec l’actuelle « révolution technologique » s’est produit un changement dans les centres de production. Au travail humain, les employeurs ont substitué de la technologie. Avec cette dernière, la capacité de production s’est beaucoup accrue ainsi que la quantité de biens que nous réalisons.

Mais, contrairement à ce que la raison pouvait nous faire espérer, cette richesse créée grâce à l’utilisation des nouvelles technologies n’a pas servi à résoudre les graves problèmes qui assaillent des millions d’êtres humains de par le monde. Ces richesses ont été accaparées par ceux qui étaient déjà riches, accentuant les différences sociales : 50 millions de pauvres et 20 millions de chômeurs dans l’Europe communautaire ; 40 millions de pauvres aux Etats-Unis ; aggravation de la misère dans les contrées de la planète au développement économique moindre.

L’accroissement de la pauvreté n’est pas le résultat d’une crise économique passagère, et les solutions proposées par le capitalisme — dans le sens de la totale libéralisation et privatisation de l’économie, de la compétitivité entre pays et personnes, de plus d’individualisation et d’absence de solidarité — servent seulement à approfondir encore plus les inégalités, à créer toujours plus de pauvreté, de précarité, de chômage et d’exclusion.

La capacité de créer plus de richesse avec moins de travail s’est accrue considérablement. L’augmentation continue de la productivité, c’est-à-dire plus de travail pour l’individu et pour sa machine, et la recherche permanente de la diminution des coûts ont continué d’être l’objectif premier du patronat. C’est le refus de changer ce schéma de travail d’avant cette révolution technologique — alors que la technologie se substituait à beaucoup de tâches naguère effectuées par des humains — qui a provoqué la baisse des salaires, le chômage et la précarité, avec comme conclusion l’exclusion et la marginalité.

Le chômage devient endémique et irréversible dans le système économique, politique et social actuel. Dans lequel ceux qui occupent le pouvoir convertissent les fruits du travail de l’ensemble de la société en capital.

Tel est bien, pourtant, le chemin choisi par l’Europe communautaire.

A la mi-juin 1997, à Amsterdam, se tiendra la Conférence intergouvernementale au sein de laquelle se discute l’avenir des citoyens européens. Dans ce cénacle, les représentants du grand capital européen — qui ne sont aucunement ceux des peuples — consolideront, sans aucun scrupule de conscience, l’orientation néolibérale de l’économie et de la politique, qui se traduit par de si terribles conséquences pour les travailleurs : chômage, salaire toujours plus bas, disponibilité totale de la main-d’œuvre aux changements d’horaires et de conditions de travail décidés par la patronat, précarité des contrats de travail, restriction dans les prestations sociales toujours présentées comme une aumône de l’Etat, exclusion et pauvreté et, plus généralement, alignement sur les intérêts financiers de ce qui est présenté comme la justice et la démocratie.

Pour dénoncer ce fallacieux discours du capitalisme européen et offrir une alternative démocratique et de justice, qui prendrait sa base sur la solidarité et la juste répartition des richesses créées par l’effort de la société tout entière, des organisations syndicales ou associatives, des groupes et des personnes, à titre individuel, préparent des marches contre le chômage, la précarité et l’exclusion qui commenceront en Espagne le 14 avril et arriveront à Amsterdam, le 15 juin. Tout au long du parcours seront organisées de multiples initiatives : rassemblements, conférences et débats… dont le thème sera la recherche de solutions concrètes et justes.

A Madrid, des collectifs de chômeurs de Mostoles, Vallecas, Leganes, Quintana, San Blas et d’autres quartiers travaillent activement pour que les marches soient une réussite qui transforme la protestation contre l’objectif du patronat de transformer l’Europe en terre de chômage, de précarité et d’exclusion en une réponse massive pour la solidarité, le partage de la richesse créée par l’effort de tous et la rationalisation du travail.

Nous appelons tous les chômeurs à participer activement à ces marches de protestation.

Études, chômage et exclusion sociale

Pour de nombreuses personnes, le chemin de l’exclusion sociale commence avant l’étape du travail, quand elles ne sont encore que dans la phase de préparation, durant la période des études.

L’enseignement actuel est complètement orienté vers la compétitivité. Pour cette raison, il engendre l’exclusion de nombreux jeunes gens. L’enseignement n’a pas été pensé pour enrichir l’individu et permettre à chacun de se réaliser au maximum de ses possibilités.

Au contraire, il a été conçu comme une réponse aux exigences de l’actuel modèle productiviste, pour soumettre le développement personnel à sa logique et lui sacrifier un nombre important de candidats. L’ » échec scolaire », c’est, pour une majorité de jeunes, le chemin sans retour vers l’échec plus large et plus profond du chômage et de l’exclusion.

C’est un enseignement essentiellement utilitariste, qui ne cherche nullement le développement harmonieux et équilibré de la personne, mais le développement des capacités que le marché du travail exige. Un enseignement utilitariste qui finit par être quasi inutile dans la majorité des cas, puisque bien peu de ceux qui réussissent aujourd’hui à terminer leurs cycles d’études seront en mesure d’exercer leurs connaissances techniques, dans le marché du travail tel qu’il existe.