La troisième révolution ? Résistance paysanne au gouvernement bolchevique
Nick Heath
Article mis en ligne le 24 août 2012
dernière modification le 6 novembre 2016

par Eric Vilain

Durant la guerre civile en Russie, le gouvernement de Lénine fit face à un grand nombre de soulèvements, principalement paysans, qui menacèrent d’abattre le régime. Peut-on justifier l’accusation selon laquelle ils furent menés par des koulaks (paysans riches), appuyés par la réaction blanche, avec le soutien des paysans les plus pauvres, inconscients de leurs réels intérêts de classe ? Ou bien, comme certains opposants à la gauche du bolchevisme le déclarent, furent-ils le début de la « Troisième Révolution » ?

D’après le marxiste allemand Karl Kautsky, les petits paysans étaient condamnés. Il était tactiquement utile de mobiliser les masses paysannes. Dans son texte « La Question Agraire » il déclare que les objectifs à court terme des paysans et de la classe moyenne inférieure, pour ne pas mentionner la bourgeoisie, étaient en opposition aux intérêts de toute l’humanité, incarnés dans l’idée de la société socialiste. « Quand le prolétariat [c’est à dire la classe ouvrière industrielle] en viendra à tenter et à exploiter les réalisations de la révolution, ses alliés – la paysannerie – se tourneront certainement contre lui… la composition politique de la paysannerie l’exclut de tout rôle actif ou indépendant et l’empêche d’atteindre sa propre représentation de classe… Par nature elle est bourgeoise et montre clairement son essence révolutionnaire dans certains domaines… C’est pourquoi la proposition devant le Congrès parle de la seule dictature du prolétariat, soutenu par la paysannerie… La paysannerie doit assister le prolétariat, et pas le contraire, dans la réalisation des souhaits de ce dernier ». Leo Jogiches parlait de « la dictature du prolétariat appuyée par la paysannerie », au sixième Congrès du Parti Social-Démocrate Polonais en 1908 (et la discussion qui suivit au Congrès décida que « la paysannerie ne peut jouer le rôle autonome aux cotés du prolétariat que les bolcheviques lui ont attribué »). Rosa Luxembourg partageait la méfiance de Jogiches envers la paysannerie, et ne pouvait la voir que comme une force réactionnaire.

Lénine lui-même, extrêmement flexible sur un plan tactique et extrêmement rigide sur un plan idéologique, était conscient de ce qu’il faisait quand son parti avançait le slogan de la dictature du prolétariat et de la paysannerie. Après le triomphe bolchevique ; « alors il sera ridicule de parler de l’unité de la volonté du prolétariat et de la paysannerie, de règle démocratique… Alors nous devrons penser à la dictature socialiste, prolétarienne » (« Deux tactiques de la Social-démocratie dans la Révolution Démocratique, 1905 »).

Pour sa part, Trotski avait une attitude encore plus dure envers la paysannerie, et n’était pas convaincu par une alliance même temporaire avec elle : « Le prolétariat entrera en conflit pas seulement avec les groupes bourgeois qui soutenaient le prolétariat lors de la première étape de la lutte révolutionnaire, mais également avec les larges masses paysannes » (1905, écrit en 1922).