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L’autre Bakounine. – 3. De la révolution démocratique à la révolution sociale
Article mis en ligne le 5 février 2010
dernière modification le 7 février 2014

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Après son évasion de Sibérie, en 1861, et un périple de cinq mois par le Japon et les États-Unis, Bakounine arrive à Londres le 14 décembre 1861. En cette période de réaction qui a suivi l’échec des révolutions de 1848-1849 en Europe, Londres est devenu le centre de ralliement des réfugiés politiques – du moins de ceux qui ne sont pas en prison. Bakounine y retrouve nombre de quarante-huitards qu’il a fréquentés pendant cette période.

Alors qu’il était emprisonné, un certain Urquhart, proche de Marx, avait diffusé des calomnies infâmes contre lui ; Mazzini et Aurelio Saffi l’avaient fermement défendu. A Londres, Bakounine leur rend visite. Peu après son arrivée en Angleterre, les mêmes calomnies furent publiées, sans signature mais émanant sans doute du même Urquhart ; Bakounine fit savoir qu’il y répondrait non plus la plume à la main mais avec la main, sans la plume . Le calomniateur se calma.
Les ouvriers anglais, en revanche, ne s’y trompèrent pas, qui lui manifestèrent leur sympathie, comme en témoigne une lettre de Bakounine, extrêmement concise mais étonnamment prophétique :

« Réponse à une députation d’ouvriers anglais, « The Cosmopolitan Review, 1er février 1862, Londres « Amis,

« Je suis profondément touché par cette manifestation de sympathie de votre part que je n’espérais pas avoir méritée. Je l’attribue à l’instinct démocratique qui vous permet de reconnaître un ami, même en un étranger, parce qu’il est un ami dévoué à notre cause commune. Et en effet, aussi loin que je puisse m’en souvenir, je me suis passionnément dévoué à la cause de l’émancipation sociale et économique de l’humanité. Je n’ai pas réussi à faire grand-chose. La prison et l’exil m’ont privé de douze années de vie et d’activité. Mais tout ce qui me reste de vie et de force sera consacré à notre grande cause.

Le temps est venu où le peuple russe, endormi depuis si longtemps, s’éveillera et ne s’endormira jamais plus. Nous, les Russes, savons tout ce qui dépend de cette lutte pour l’émancipation du travail, mais nous savons aussi que sa force n’est pas destructrice, mais productive. Nous sommes persuadés que l’élément Russe apportera une nouvelle idée à la grande question sociale et que la nation Russe trouvera à son tour sa place au nombre des nations qui aspirent à la pleine émancipation de l’humanité et tendent une main fraternelle à ceux qui travaillent à notre cause commune. »

L’évadé est reçu à bras ouverts par Herzen et Ogarev. Bakounine n’est plus l’aristocrate dandy qu’ils ont connu. Il a vieilli et grossi, il est débraillé, mais les conditions terribles de son incarcération n’ont pas affecté son esprit. Et son appétit d’ogre n’a pas changé. Après les effusions d’usage, Bakounine demande : « Y a-t-il des huîtres, ici ? »

Herzen s’était établi à Londres en 1852 après l’échec de 1848. Pendant un séjour en France il avait collaboré à la Voix du peuple de Proudhon. Banni de Russie, il n’avait plus aucun contact direct avec son pays.
Après la guerre de Crimée et la mort de Nicolas Ier, un vent de libéralisme souffla en Russie. Herzen fonda en 1855 une revue, l’Etoile polaire, puis en 1857 le Kolokol (La Cloche) qui aura une importante diffusion auprès de l’émigration russe et en Russie même, en particulier auprès des couches dirigeantes du pays. On dit que le tsar Alexandre II lui-même lisait la revue, qui devint le porte-parole du libéralisme.

A l’Ouest, la réaction victorieuse après les révolutions de 1848 est de nouveau menacée partout : Garibaldi a abattu le royaume des Deux-Siciles. Bismarck est en mauvaise posture. L’empereur d’Autriche accorde une constitution. En France Napoléon III est obligé de faire des concessions ; le mouvement ouvrier conquiert le droit de grève. Ce qui fait dire à Bakounine : « Le reflux est fini, la haute marée va commencer. »

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